Elle était devenue artiste comme par effraction. Anthropologue de formation et de cœur, Susan Hiller est arrivée à l’art sur le tard, mettant en scène sous la forme de vidéos, de murs de cartes postales ou de sculptures, des recherches qu’elle qualifiait de « paraconceptuelles » : à mi-chemin entre paranormal et art conceptuel. Sa voix singulière a porté infiniment, riche de tous ces lointains. L’artiste américaine s’est éteinte le 28 janvier, mais restera « immensément influente sur toute la jeune génération d’artistes » aux yeux de Nicholas Serrota, directeur de la Tate de Londres au temps où elle y eut – enfin – droit à sa rétrospective, en 2011.
Née en Floride, à Tallahassee en 1940, Susan Hiller s’est d’abord vue contrainte de renoncer à une carrière artistique du fait de son statut de femme. Elle comprendra plus tard combien « être une femme et une artiste est une position privilégiée, et non négative, dans le sens où tu te trouves en marginalité. Et être marginal, c’est parler deux langues, plutôt qu’une ». Titulaire d’un doctorat d’anthropologie en 1965, elle s’exile en Grande-Bretagne, où elle passe le reste de sa vie.
C’est par la voie du rêve qu’elle fait son entrée dans le domaine des arts plastiques. Avec Dream Mapping, Cartographie du rêve, en 1974, elle compose une vaste installation immersive, qui bruisse de mille voix. Elles surgissent d’une forêt de haut-parleurs, à peine plus gros que l’oreille, accrochés à une multitude de fils électriques. De loin, on croirait une jungle technologique. De près, un océan de rêves, recueillis auprès de quidams. Epopée ou murmure, chacun livre le récit d’un songe.
Une psychanalyse géante
Cette image stupéfiante de l’inconscient collectif d’une époque est née d’un processus quasi-scientifique : en 1973, l’artiste en devenir avait organisé un séminaire du rêve, invitant une vingtaine de personnes à se rassembler et à communier la nuit. Convié à dormir en plein air, chacun dessinait, à l’aube, le diagramme de ses songes, avant que ces dessins soient tous rassemblés en une œuvre commune. Une psychanalyse géante que l’artiste poursuivit via le son. En 2000, elle reprendra ce même dispositif pour faire entendre des récits d’enlèvements d’extra-terrestres.
Susan Hiller a souvent utilisé ce processus de collecte et d’accumulation qui rappelle celui d’un chercheur en sciences humaines : ainsi quand elle rassemble et accroche au mur des centaines de cartes postales d’un coin de la côte britannique, harcelée par les flots et reproduite quasiment à l’identique, dans l’objectif de dresser un « monument à l’artiste inconnu ». Ou quand, pour la Documenta de Kassel en 2012, elle réunit dans cinq juke-boxes un florilège de chants protestataires du monde entier.
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