« C'est automatique l'orgasme chez eux ! », « Je le verrais s'il faisait semblant » ou encore « Mais non, ils ne savent pas simuler ! ». Quand on évoque le sujet avec les femmes, la plupart sont incrédules. Pourtant, s'ils s'en vantent rarement, 30 % des hommes auraient déjà simulé, selon une étude du magazine britannique « Time Out » publiée en 2014. « C'est un tabou pour eux car nous sommes encore dans une société où la baisse du désir masculin n'est pas acceptée et est souvent associée à une défaillance de virilité et de masculinité », décrypte la sexologue et thérapeute de couple Claire Alquier. Cliché récurrent, la sexualité d'un homme serait « plus facile », « plus mécanique » et l'orgasme quasi « automatique ». « Rien n'est plus faux : parfois les hommes ne bandent pas, ou débandent, ou éjaculent, mais n'ont pas d'orgasme ou ont un orgasme mais ne sont pas 'venus', etc. Toutes les combinaisons sont possibles », rappelle Cookie Kalkair, auteur de la BD « Pénis de table » (éd. Steinkis), sortie fin août. Il y donne la parole à sept hommes qui racontent leur vie sexuelle et expliquent ce qui peut les pousser à jouer la comédie au lit.

« J'ai simulé pendant une relation entière, pour ne pas froisser ma partenaire. »

« Simuler est une manière 'polie' d'en terminer. Comme rire à une blague qu'on n'a pas trouvée vraiment drôle. C'est plus facile à gérer que le conflit, ou que de tout stopper pour dire à l'autre : 'Je ne trouve pas ça super. Je préfère arrêter.' J'ai simulé pendant une relation entière, pour ne pas froisser ma partenaire. Le reste allait très bien et je ne voulais pas noircir le tableau, je pensais que j'allais pouvoir 'faire avec' », livre Cookie Kalkair. « Admettre que l'on est 'incompatibles' sexuellement peut briser un couple. Cela peut se régler avec une bonne communication et de la pratique, mais parfois c'est trop compliqué. Comme danser avec quelqu'un qui n'est pas sur le même rythme », poursuit-il. C'est pour éviter de « blesser » sa compagne de l'époque que Maxime, 38 ans, a usé de ce subterfuge : « Je ne voulais pas qu'il y ait une interprétation du type 'tu n'as plus envie de moi ?' 'je ne te plais plus ?', et je préférais éviter une discussion qui n'aurait mené nulle part. Simuler ne résout rien, mais évite de se confronter à un problème sur le moment », analyse-t-il.

« L'idée de la virilité conquérante, pénétrante persiste dans l'inconscient masculin et la défaillance sexuelle reste encore quelque chose de honteux », confirme le psychanalyste et sexothérapeute Alain Héril. Une vision étriquée confortée par des siècles d'histoire. « La sexualité reste androcentrée, focalisée sur le vécu masculin. Elle demeure influencée par la description de l'acte sexuel établie par les médecins du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle : érection, pénétration, éjaculation. Avec cette trilogie du coït, les hommes portent aussi un fardeau, ils sont enfermés dans un moule assez étroit », souligne Sylvie Chaperon, historienne et professeure à l'université Jean-Jaurès de Toulouse.

Alors, fierté masculine ou désir de « protéger » l'autre ? « Les raisons de la simulation sont les mêmes pour les deux sexes, on le fait pour l'autre : les hommes ne veulent pas que leur partenaire pense qu'elle ne lui a pas donné assez de plaisir ou qu'il 'ne fonctionne pas'. Certains peuvent rester en érection longtemps, sans éjaculer. Comme ils sont conscients de ce qui arrive, ils voient bien aussi que leur partenaire en a marre et sont donc encore moins stimulés. Un processus sans fin ! Car ce qui déclenche l'orgasme, et donc l'éjaculation, c'est l'excitation », rappelle l'andrologue Sylvain Mimoun.

« Je ne l'ai jamais dit : les filles prendraient ça trop mal alors qu'elles n'y sont pour rien. »

Pour ne pas y passer la nuit artificiellement, certains hommes préfèrent donc jouer l'orgasme, en criant par exemple et en faisant un tour de passe-passe avec le préservatif. « J'avais plusieurs partenaires à cette époque. J'avais eu des rapports avant et les jours précédents, et je savais que j'étais 'à sec'. Avec un préservatif, personne ne peut voir si on a joui ou pas. Je ne l'ai jamais dit : les filles prendraient ça trop mal alors qu'elles n'y sont pour rien », raconte à son tour Patrick, 43 ans. Ben, lui, visionne beaucoup de porno et reconnaît avoir souvent « des galères à éjaculer s'il ne se masturbe pas. Le seul moyen pour en finir la tête haute, c'est de faire comme si je jouissais. Je me retire et j'enlève vite la capote ». Ni vu ni connu. Un exemple de ce qui peut aussi se passer dans la tête de nos compagnons masculins. « Les hommes se sont toujours mis la pression, mais depuis que les femmes se sont libérées, ils se la mettent un peu plus. Lorsqu'ils tombent sur une partenaire qui a de l'expérience, qui a connu beaucoup d'hommes, au départ cela les stimule, mais cela peut aussi les bloquer. L'homme a toujours l'impression qu'il est en compétition avec les autres hommes », ajoute le Dr Sylvain Mimoun, coauteur de « L'Égoïsme partagé ! » (éd. Eyrolles). Le culte de la performance est tenace.

Mais ne serait-il pas plus simple d'en parler ? « À partir du moment où simuler reste exceptionnel et que ça n'empêche pas la communication dans le couple, il ne faut pas s'affoler. Mais si cette volonté de rassurer sa partenaire peut paraître noble au premier abord, elle peut aussi engager des rapports qui vont être plus compliqués ensuite », prévient Claire Alquier. « C'est une espèce de leurre qu'on met en place vis-à-vis de l'autre, mais aussi vis-à-vis de soi-même : un homme qui fait semblant, comme une femme, n'est pas heureux dans l'acte sexuel. La simulation de l'orgasme chez un homme peut aussi être liée au fait qu'il a des difficultés d'érection - dues à une absence de désir, une dépression - et qu'il masque également ces symptômes. Il peut aussi avoir peur d'éjaculer. » Et Alain Héril de raconter avoir reçu en consultation un patient qui simulait parce que sa femme voulait un enfant et pas lui. Comme il n'osait pas lui dire, elle ne comprenait pas pourquoi elle ne tombait pas enceinte et se pensait stérile... La simulation reste un symptôme d'une difficulté de dialoguer. « Si le discours sur la sexualité est omniprésent d'un point de vue médiatique, il reste globalement problématique dans l'intimité des couples », constate le thérapeute, qui incite les hommes à ne pas attendre des années avant d'aller consulter.

« Je n'avais jamais imaginé qu'un mec pouvait simuler... jusqu'au jour où j'ai grillé le mien ! Il avait réagi si curieusement que je lui ai dit 't'as fait quoi là ?' Passé ce moment qui pique l'ego et qui est quand même très vexant, j'ai relativisé. Ça m'est arrivé de le faire, alors, pourquoi pas les garçons aussi ? » admet Sarah, 36 ans. À l'heure où les femmes revendiquent leur plaisir - le succès du compte Instagram « T'as joui ? » en témoigne -, n'avons nous pas toutes et tous à gagner de cette déconstruction de la sexualité qui s'opère en ce moment ? « Si on sortait de ce sacrosaint rapport sexuel qu'on considère réussi parce qu'il y a eu un orgasme à la fin et une éjaculation, peut-être que le champ érotique serait beaucoup plus riche », imagine la sexologue Claire Alquier. Les spécialistes sont en tout cas unanimes : on peut faire l'amour sans pénétration et sans orgasme... tout en prenant beaucoup de plaisir. Et si finalement c'était ça l'égalité au lit ? Jouir, ne pas jouir, et pouvoir l'assumer sans culpabiliser.

Cet article a été publié dans le magazine ELLE du 19 octobre 2018. Abonnez-vous ici.