Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Action civile des associations de protection de l’enfance

Un fait unique de violence commis hors du contexte d’une relation de responsabilité, de confiance ou de pouvoir n’entre pas dans les prévisions de l’article 2-3 du code de procédure pénale, lequel ne s’applique aux infractions qu’il énumère qu’à la condition qu’elles constituent une maltraitance.

par Méryl Recotilletle 20 décembre 2018

En vertu de l’alinéa 1er de l’article 2-3 du code de procédure pénale, toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits (Crim. 27 févr. 2001, n° 00-81.718) et dont l’objet statutaire comporte la défense ou l’assistance de l’enfant en danger et victime de toutes formes de maltraitance peut exercer les droits reconnus à la partie civile. Toutefois, son action n’est recevable que dans les poursuites des infractions limitativement énumérées par la loi, à savoir les tortures et actes de barbarie, les violences et agressions sexuelles commises sur un mineur et les infractions de mise en péril des mineurs (v. Rép. pén.,  Action civile, par C. Ambroise-Castérot, n° 442). C’est sur le respect de ces conditions par une association que portait l’arrêt de la chambre criminelle du 4 décembre 2018.

En l’espèce, au sein d’un établissement scolaire, une collégienne a infligé de graves brûlures à une camarade ce qui a donné lieu à l’ouverture d’une information du chef de tentative d’assassinat. L’Association Famille Enfance Partage Solidarité (AFEPAS) s’est constituée partie civile devant le juge d’instruction. D’après ses statuts, cette association se fixe notamment pour missions de lutter contre les violences à l’encontre des femmes et des enfants, l’exclusion sociale et culturelle, le racisme et le trafic de stupéfiants lié aux mineurs, de sensibiliser, assister, représenter et défendre les victimes de multiples infractions, de favoriser la scolarisation des enfants en Afrique et de veiller au respect des droits des prisonniers en France et en Afrique. La constitution de partie civile a cependant été déclarée irrecevable par les juges du premier et du second degré. La chambre de l’instruction a en effet relevé que seule la minorité des jeunes filles permettait de rattacher les brûlures issues de leur altercation, qualifiée de « privée », aux missions « manifestement diversifiées » de l’AFEPAS. Cette dernière s’est alors pourvue en cassation.

Saisie du problème relatif à la recevabilité de la constitution de partie civile de l’association, la chambre criminelle devait se prononcer sur la question de savoir si la tentative d’assassinat issue d’une altercation privée entre deux mineures dans le milieu scolaire entrait dans les prévisions de l’article 2-3 du code de procédure pénale ? À cette interrogation, elle a répondu de façon négative et a rejeté le pourvoi de la demanderesse. La chambre criminelle a en effet conclu « qu’en statuant ainsi, et dès lors qu’un fait unique de violence commis en dehors du contexte d’une relation de responsabilité, de confiance ou de pouvoir, n’entre pas dans les prévisions de l’article 2-3 du code de procédure pénale, lequel ne s’applique aux infractions qu’il énumère qu’à la condition qu’elles constituent une maltraitance, la chambre de l’instruction a justifié sa décision ». Cette solution semble justifiée puisque les conditions posées par le législateur n’ont visiblement pas été respectées.

Dans un premier temps, la Haute Cour s’est fondée sur la décision rendue par les juges du second degré qui ont refusé d’étendre l’article 2-3 du code de procédure pénale à un comportement qu’il ne prévoit pas. En effet, même si la condition de minorité de la victime était remplie cela n’a pas suffi à rattacher les faits aux infractions listées par le législateur. Les brûlures subies par la victime n’ont pas été qualifiées d’actes de torture et de barbarie ou de violences. Il s’agissait d’une tentative d’assassinat (rappr. Crim. 21 juin 2017, n° 16-82.607). Ce comportement n’entrant pas dans la liste des infractions limitativement énumérées au sein de l’article 2-3 du code de procédure pénale, le rejet de la constitution de partie civile paraît logique.

Dans un second temps, et c’est là l’intérêt principal de la décision, la chambre criminelle est venue délimiter le domaine de l’article 2-3 du code de procédure pénale en précisant qu’il s’applique aux infractions qu’il énumère à la seule condition que celles-ci constituent une maltraitance. La maltraitance d’un enfant désigne, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), « les violences et la négligence envers toute personne de moins de 18 ans. Elle s’étend à toutes les formes de mauvais traitements physiques et/ou affectifs, de sévices sexuels, de négligence ou de traitement négligent, ou l’exploitation commerciale ou autre, entraînant un préjudice réel ou potentiel pour la santé de l’enfant, sa survie, son développement ou sa dignité, dans le contexte d’une relation de responsabilité, de confiance ou de pouvoir » (V. not., B. Lapérou-Scheneider et C. Philippe, Parents, enfants et maltraitance, AJ fam. 2013. 570 ). En l’espèce, les blessures infligées résultaient d’un conflit entre deux mineures au sein d’un établissement scolaire. Il n’existait pas, entre ces deux jeunes filles, de « relation de responsabilité, de confiance ou de pouvoir ». C’est la raison pour laquelle les juges ont estimé que ces faits ne correspondaient pas à la définition de la maltraitance.

En définitive, les conditions posées par le législateur n’ayant pas été respectées, l’association ne pouvait pas se constituer partie civile dans le cadre de la tentative d’assassinat dont a été victime la collégienne. Par cette décision du 4 décembre 2018, les juges ont démontré une volonté d’encadrer rigoureusement la constitution de partie civile intentée sur le fondement de l’article 2-3 du code de procédure pénale par une association dont les missions étaient vraisemblablement très larges.