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« Chief happiness officers », espaces de travail design aux couleurs chatoyantes, petits-déjeuners et afterworks entre collègues ou encore espaces détente mis à disposition des équipes… Si ces initiatives visant à promouvoir le bonheur au travail ont longtemps été l’apanage d’entreprises innovantes comme Zappos ou Google, elles font désormais partie du quotidien de nombreux salariés travaillant dans des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs.

A titre d’exemple, Kiabi fait désormais la promotion d’une « Happy Culture » en interne, les laboratoires Boiron vantent les mérites de leur Chief happiness officer et la PME Chronoflex (spécialisée dans la vente et l’installation de flexibles hydrauliques pour machines de chantier) prône la « performance par le bonheur » avec la mise en place d’un management libéré (lire aussi la chronique : « L’entreprise libérée, symbole d’une gouvernance postindustrielle »).

Ces initiatives sont vantées par des gourous du management comme étant une manière d’aligner les intérêts individuels avec les intérêts collectifs en réconciliant la performance économique et la performance sociale. De fait, elles sont censées augmenter le bonheur des salariés et donc la performance de l’entreprise. Cependant, ces initiatives font-elles réellement le bonheur des salariés ?

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Elles peuvent en effet être très bien accueillies par certains collaborateurs qui se disent plus détendus, plus épanouis et donc plus engagés dans leur travail qu’ils ne le seraient dans une entreprise au management plus classique. Ils ont l’impression que l’entreprise fait attention à eux, qu’ils travaillent dans de meilleures conditions et qu’ils peuvent s’exprimer librement dans un environnement qu’ils caractérisent comme bienveillant, informel, voire « fun » et amical.

Vers une nouvelle forme de contrainte

Néanmoins, il existe au moins trois cas de figure dans lesquels ces modes de management – pourtant centrés sur le « bonheur » des salariés – ne rendent pas ces derniers plus heureux. Tout d’abord, ces initiatives peuvent être vécues comme des formes de pression au quotidien par certains salariés qui ne souhaitent pas participer à des afterworks ou faire de la gym avec leurs collègues en dehors des heures de travail et qui ne veulent pas confier des éléments de leur vie personnelle à des chief happiness officers censés être responsables de leur bonheur. Ils n’ont tout simplement pas envie de prendre part au folklore quotidien mis en scène par leur entreprise, censé être « fun » et « épanouissant » mais qu’ils jugent infantilisant, artificiel, voire non professionnel.

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Ces salariés – qui peuvent pourtant très bien faire leur travail par ailleurs – se sentent alors exclus car ils ne se reconnaissent pas dans cette injonction du bonheur au travail et par le travail à laquelle ils sont soumis (lire aussi l’article : « Une histoire du bonheur »). Dans certains cas, ils peuvent même être pénalisés par leur hiérarchie ou par le groupe car ils sont considérés comme rabat-joie lorsqu’ils n’adhérent pas à l’enthousiasme collectif. La culture du bonheur, qui est censée être épanouissante et bienveillante, devient alors stigmatisante.

Le risque de surinvestissement professionnel

De plus, il existe aussi des cas où, à l’inverse, les salariés s’identifient trop à cette culture du bonheur par le travail et au travail. Cela peut alors conduire à un surinvestissement qui amène certains d’entre eux à avoir du mal à décrocher de leur travail, parfois jusqu’au burnout. De fait, les salles de gym, espaces bien-être et autres infrastructures offertes par l’entreprise constituent-elles réellement des moyens de se relaxer ou seulement des occasions de travailler autrement en continuant à échanger avec ses collègues ? Ce surinvestissement peut également être d’ordre affectif car certains salariés en viennent à construire leur socialisation principalement dans la sphère professionnelle et à se sentir tellement redevables envers l’entreprise qu’ils acceptent de travailler souvent tard le soir ou le week-end.

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Enfin, ces initiatives peuvent être mal vécues par les salariés quand il existe un décalage entre le discours centré sur le bonheur véhiculé dans l’entreprise et les pratiques quotidiennes de management. Nombreuses sont, hélas, les organisations qui communiquent sur leur volonté de faire le bonheur des salariés, qui mettent en place des politiques reprenant les codes de cette « happy culture », et qui organisent quelques activités ludiques pour leurs employés mais qui conservent des modes de management très traditionnels, pour ne pas dire autoritaires. Ces initiatives qui n’affectent pas le travail lui-même mais qui s’expriment seulement en périphérie de ce dernier sont alors interprétées comme autant d’injonctions paradoxales par les salariés qui provoquent l’effet inverse de celui escompté, en créant du cynisme, de la démotivation, voire de la défiance vis-à-vis de l’entreprise.

Une nécéssaire réflexion sur les conditions de travail

Afin d’éviter ces écueils, qui peuvent avoir des effets négatifs autant socialement qu’économiquement, les entreprises doivent, avant de mettre en place ce type d’initiatives, mener une réelle réflexion sur le travail et les conditions dans lesquelles il s’exerce. En effet, le bonheur des salariés passe d’abord et avant tout par la possibilité de se consacrer à un métier intéressant, qui offre des perspectives et que l’on peut exercer dans de bonnes conditions ; non par un folklore ostentatoire prônant une conception normative du bonheur.

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Les entreprises devraient donc moins se focaliser sur l’idée qu’elles doivent faire le bonheur de leurs salariés afin d’être performantes économiquement mais plutôt que c’est la performance qui crée le bonheur, et ce au niveau individuel et collectif. L’enjeu est alors de réfléchir sur les conditions de travail, la répartition des rôles et des responsabilités, les modes d’organisation et de management et la juste rémunération du travail. Ce n’est qu’en remettant le travail au cœur de la réflexion que les entreprises pourront être plus performantes et permettront aux salariés de s’épanouir dans leur métier, ce qui contribuera inévitablement à les rendre plus heureux.

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