Le circuit court est-il un modèle viable?

Le circuit court permet aux deux parties d’y gagner, mais convient-il à tous les agriculteurs ? [Viki2win/Shutterstock]

La plupart des agriculteurs perdent une grande partie de leurs revenus dans les chaînes d’approvisionnement. Mais certains parviennent à livrer directement au client, et augmentent leur rémunération.

À une heure et demie de Berlin se situe le petit village de Brodowin, dans le Brandebourg. Seules 400 personnes vivent ici, mais des citadins font régulièrement le trajet depuis la capitale pour visiter la ferme locale. D’ailleurs, le fromage Brodowin se trouve dans tous les supermarchés de l’agglomération berlinoise.

Les acheteurs visitent d’abord la laiterie de la ferme, puis les étables où 240 vaches produisent le lait biologique qui servira à confectionner le fromage. L’entreprise, qui emploie environ 110 personnes, vend également sa propre viande, ses œufs, ses légumes et son miel.

Et cette ferme ne livre pas que les supermarchés, mais aussi les clients. En effet, 2 000 ménages commandent des paniers hebdomadaires remplis de produits locaux et de saison. Les paniers sont confectionnés à la demande, et livrés sur le pas de la porte. C’est ainsi que la ferme récupère la totalité des revenus de ses produits.

Et ça vaut le coup, même si le label bio dont ils dépendent exige le paiement d’une redevance, explique Franziska Rutscher, responsable communication chez Brodowin. « Nos clients sont prêts à mettre le prix pour des produits bio. C’est ainsi que nous restons compétitifs par rapport aux fermes conventionnelles ». Et Franziska Rutscher est certaine qu’à l’avenir, de plus en plus de grandes exploitations agricoles se mettront au bio.

« Il faut que l’agriculture serve d’abord à nourrir »

L’exécutif européen réformera d’ici fin 2017 la Politique agricole commune (PAC). Pour éviter de nouvelles crises agricoles, deux eurodéputés tentent de remettre l’alimentation, l’environnement, les territoires ruraux et les petites exploitations au cœur du système. Un article de notre partenaire Ouest France.

Une indépendance exceptionnelle

Toutefois, des concepts comme celui de la ferme Brodowin, où les produits agricoles sont acheminés directement au consommateur, restent une exception. La grande majorité des agriculteurs se situe tout en bas d’une longue chaîne de production, dont ils ne reçoivent généralement qu’une fraction du bénéfice.

En moyenne, les agriculteurs de l’UE ne reçoivent que 21 % de l’argent payé par les consommateurs pour leurs produits. Le reste est grignoté par les intermédiaires, soit en moyenne 28 % pour les transformateurs et 51 % pour la grande distribution.

Et ce n’est pas seulement une question de recettes. L’absence d’alternatives rend les agriculteurs fortement dépendants des grandes chaînes alimentaires. En tant que producteurs, ils ont donc une position de négociation extrêmement faible dans cette industrie.

Il n’est donc pas rare que les industriels revoient le prix à la baisse, qu’ils annulent des commandes à court terme ou qu’ils se permettent de renvoyer de la marchandise. Toutes ces pratiques sont un désastre financier pour l’agriculteur.

Et chez les agriculteurs et les consommateurs, les voix commencent à se faire entendre. En plus du marché hebdomadaire traditionnel, de plus en plus de fusions solidaires se forment pour contourner les intermédiaires. En Allemagne, il existe environ 190 « fermes solidaires », dans lesquelles les consommateurs se regroupent pour donner aux agriculteurs une garantie d’achat pour leurs produits voire même un prêt.

En contrepartie, les acheteurs ont leur mot à dire dans la production des produits. Le circuit court, c’est tendance, et les consommateurs sont de plus en plus conscients de l’importance d’une agriculture durable, écologique et équitable. Car quand un produit est acheminé directement de l’agriculteur au client, cela permet d’économiser du temps, de l’emballage et des émissions dues au transport.

Toutes les fermes n’ont pas les moyens

Malheureusement, passer au circuit court n’est pas évident. En 2015, la part des aliments commercialisés en circuit court ne représentait que 5 % de la valeur totale des produits agricoles.

Dans le secteur alimentaire allemand, dont le chiffre d’affaires s’élevait à 255 milliards d’euros l’année dernière, les quatre géants Edeka, Schwarz, Rewe et Aldi détiennent encore plus de la moitié du marché.

Afin d’aider les agriculteurs européens à faire face à la grande distribution, la PAC prévoit pour la première fois des régimes de soutien au circuit court, par le biais du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).

Mais est-ce suffisant ? Les critiques estiment que des concepts comme celui de Brodowin fonctionnent bien à l’échelle régionale, mais n’apportent aucune solution à la demande croissante d’aliments. Il est en outre difficile de mettre en place un système de livraison individuel, surtout pour les petites exploitations.

Les agriculteurs manquent d’argent, de personnel, de capacités logistiques et de publicité pour mettre en place un tel concept. Même pour Brodowin, explique Franziska Rutscher, les débuts ont été difficiles. « Les propriétaires ont investi dans la ferme pendant des années, jusqu’à s’endetter. Notre service de livraison a d’abord fonctionné sur une très petite échelle, et on prenait les commandes sur papier ou par téléphone. »

La Commission renvoie la balle aux Etats membres sur la question des circuits courts

Les circuits courts gagnent du terrain en Europe. Produire et consommer local est considéré comme un bon moyen de rémunérer de manière plus juste les agriculteurs et d’avoir des produits locaux de meilleure qualité.

 

Une directive européenne pour renforcer les droits des agriculteurs

Le Parlement européen vient d’adopter une proposition de loi qui protégerait les droits des agriculteurs dans la chaine d’approvisionnement. Dans tous les États membres, une autorité nationale devrait centraliser les plaintes et éradiquer la peur qui règne sur la chaine d’approvisionnement, estime le commissaire à l’agriculture, Phil Hogan.

Le Centre de politique européenne, un groupe de réflexion allemand, n’est pas convaincu par la proposition. Entre autres problèmes, ses membres soulignent que le rassemblement de détaillants et grossistes au sein de groupes d’achat est en théorie interdit.

« Cela interfère trop avec la liberté contractuelle dans la vente », juge le centre. Pour éliminer les pratiques déloyales contre les agriculteurs, il faudrait plutôt mieux surveiller l’application des règles de concurrence, estiment ses membres.

Il faudra peut-être des années pour que la nouvelle directive se transforme en législations nationales. Et même à ce moment-là, la grande majorité des agriculteurs dépendront encore des détaillants pour vendre leurs produits.

La petite exploitation de Brodowin peut par contre parfois faire abstraction de la demande, parce que la production y est encore assez modeste. Les produits sont parfois utilisés et vendus via la cuisine de la ferme. Et s’il y avait un jour trop de fromage, celui-ci trouverait tout à fait sa place dans une soupe aux poireaux, explique Franziska Rutscher.

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