Paris : du safran sur le toit du supermarché

Dans le XIIIe, le toit-terrasse d’un Monoprix accueille une safranière. La production sera vendue dans le magasin.

 Rue Daviel (XIIIe), jeudi. Bérengère émonde les fleurs de la récolte du jour, pour en retirer les filaments.
Rue Daviel (XIIIe), jeudi. Bérengère émonde les fleurs de la récolte du jour, pour en retirer les filaments. LP/Elodie Soulié

    A la ville elles sont dans la finance, la construction, le marketing… pas vraiment des métiers bucoliques. Mais au petit matin, surtout en ce mois d'octobre de récolte, vous trouverez les 4 sœurs « Bienélevées », ainsi qu'elles ont baptisé leur petite entreprise, au-dessus d'un supermarché Monoprix du XIII e, arpentant 700 m 2 d'une terrasse de demi-toit où s'alignent d'innombrables gros bacs de terre sombre.

    Dans chacun, les fines pousses vertes éclosent chaque jour, en quelques heures ou même quelques minutes. Il faut guetter, car dans ces fleurs d'une espèce de crocus se cache de l'or rouge : du safran. Du vrai, celui dont quelques dixièmes de gramme suffisent à imprégner d'arôme un plat, un dessert ou un pain, et dont le prix, entre 40€ et 80 € le gramme selon la qualité, en fait une épice de luxe.

    32000 bulbes de crocus ont été plantés

    Désormais il se cultive sur les toits de Paris, dans la safranière suspendue des sœurs Bienélevées, lauréates du 2 e appel à projets Parisculteurs d'agriculture urbaine.

    Leurs 32 000 bulbes, plantés le mois dernier, donnent en ce moment autant de fleurs aux précieux filaments, – des « stigmates » pour les puristes du Crocus Sativus —, à raison de 3 par fleur. D'ici quelques mois, la production symbolisera le plus instantané des « circuits courts » : elle se vendra quelques mètres au-dessous, au Monoprix de la rue Daviel ! « Nous avions identifié ce toit de 2000 m2 pour accueillir un projet d'agriculture urbaine, explique Karine Viel, directrice du développement durable de Monoprix. Le bailleur du magasin, Paris Habitat, a donné son aval. L'intérêt, c'est que la production ait un débouché, ici il est juste au-dessous. C'est un quartier très habité, dans un arrondissement déjà très vert ».

    Pour les créatrices de la safranière suspendue, l'espace était idéal. « Le safran a cette contrainte de demander une surface énorme pour une petite production », souligne Philippine, l'une des sœurs Bienélevées. Elles ont investi environ un tiers des 2 000 m2, et cela représente déjà un sacré aménagement et 82 t de terre à monter, « une terre très drainée, et en même temps pas trop lourde pour le toit », expliquent-elles.

    « La plante est robuste mais elle a un cycle végétal compliqué à gérer, car il faut la cueillir dès qu'elle est fleurie, et cela s'étale sur environ 3 semaines ». Pile en ce moment, où les 32 000 bulbes donneront au final… « entre 180 et 200 g de safran ». Cela paraît peu, mais « c'est une épice très puissante en goût, avec une dose de 0,1 g on fait un plat pour 4 ou 6 personnes », précise Bérengère.

    L'an prochain chaque bulbe donnera un autre bulbe, et ainsi chaque année, démultipliant la récolte qui demandera toujours plus de surface. « L'objectif est de pouvoir créer 5 ou 6 safranières dans Paris », prévoient les Bienélevées, qui planteront également de la myrte et du calendula au-dessus du Monoprix de la rue Daviel, pour y organiser des ateliers d'herboristerie, fabriquer des savons, des crèmes de soins.

    En attendant, leur safran sera vendu début 2019 en petits conditionnement de 0,1 g, 0,2 g et 0,5 g, dont le prix exact reste à fixer. Les sœurs travaillent aussi avec une biscuiterie, pour mettre au point des gâteaux secs salés et sucrés. Elles ont mis au point une recette de nougat safran-noix, de brioche… autant de douceurs que Monoprix prévoit aussi de vendre rue Daviel dans le courant 2019, « en fonction de la production », précise Karine Viel.

    Rue Daviel (XIIIe) jeudi. Bérengère et Philippine, deux des quatre sœurs Bienélevées, ont planté 32 000 bulbes en septembre. LP/Elodie Soulié
    Rue Daviel (XIIIe) jeudi. Bérengère et Philippine, deux des quatre sœurs Bienélevées, ont planté 32 000 bulbes en septembre. LP/Elodie Soulié LP/Elodie Soulié