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Quand les GPS vont aux champs

Après l'assolement, la mécanisation et la chimie, une nouvelle révolution agricole est en marche. Respectueuse, cette fois, de l'environnement. Le robot, c'est bio.

Fabien Clairefond pour « Les Echos »
Fabien Clairefond pour « Les Echos »

Par Sabine Delanglade

Publié le 25 sept. 2018 à 15:26Mis à jour le 25 sept. 2018 à 16:06

Avant l'été, « Le Figaro » mettait en lumière un nouveau « fléau » s'abattant sur les campagnes. Il ne s'agit cette fois ni de mildiou, ni de sauterelles, ni d'écolos surexcités, mais du vol des GPS équipant les tracteurs.

On vole de moins en moins les machines, 6 tonnes au bas mot, on subtilise leur électronique. Il s'en dérobe « encore un par jour aujourd'hui », complète Charlotte Vaussant, agricultrice dans l'Aisne, région de grande culture particulièrement visée. Les appareils violemment arrachés, vandalisant au passage tout le poste de conduite, prennent ensuite la direction des plaines de l'Est où ils sont particulièrement appréciés.

Car ces équipements, dont les tarifs vont de 3.000 à 20.000 euros, sont devenus des éléments clefs non pas seulement de la conduite des tracteurs, mais de toute l'exploitation dans son ensemble. Reliés à des satellites qui cartographient les parcelles au centimètre près, ils repéreront telle plante un peu jaunie, tel animal un peu maigre, indiqueront avec précision la quantité des traitements nécessaires. Fini le déversement d'engrais ou de pesticides au jugé. Charlotte Vaussant y a économisé 36 euros à l'hectare.

Comme l'industrie, l'agriculture est passée de la mécanique à l'électronique, vive les agtech. Que les technophobes se rassurent, cette technologie-là est bienveillante. Selon Marion Guillou, l'ex-patronne de l'Inra, elle sera même « l'instrument de la révolution agroécologique », celle qui permettra d'accroître la production tout en diminuant son impact sur l'environnement.

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Ainsi le numérique préfigurerait-il une troisième révolution agricole de l'ampleur de celles que furent l'assolement au XVIIe siècle, la mécanisation et la chimie au XXe siècle. Aujourd'hui, à la tête d'Agreenium, Marion Guillou organise, par le biais de MOOC, la diffusion de la science agricole française.

Car, il ne faut pas se tromper, le monde agricole a toujours été technophile : « L'ordinateur est arrivé dans les familles agricoles bien avant les autres. Dès les années 1980, elles l'utilisaient pour leur comptabilité », rappelle le sociologue François Purseigle. L'arrivée après-guerre des tracteurs dans les cours de ferme fut vécue comme une libération. La technique est un must pour ce secteur confronté à des systèmes très complexes intégrant les dizaines de paramètres liés à la gestion du vivant. Bref : « On n'est pas face à un monde qui découvre le robot du jour au lendemain. » Déjà 90 % des agriculteurs ont accès à Internet et plus de la moitié ont un smartphone avec au moins une appli spécialisée, météo ou autre. Intelligence artificielle et robotisation tombent à pic. La main-d'oeuvre se fait rare et la culture bio exige beaucoup plus de travaux manuels.

Guidé par des capteurs GPS et des caméras 3D, le robot de binage du toulousain Naïo Technologies arrache les mauvaises herbes qui étouffent les cultures maraîchères. Cela évite les produits chimiques et l'avantage est que le robot ne se fatigue jamais. Pour lui, la terre n'est pas basse, le robot c'est bio. Le coût du travail peut représenter jusqu'à 60 % de celui de la production dans l'arboriculture, d'où l'avantage d'un robot aux yeux artificiels pour aller débusquer les cerises derrière leurs feuilles. « Ce sont les robots qui permettront le maintien de l'agriculture en France. Si on abandonne la chimie, il faudra plus de main-d'oeuvre », insiste Véronique Bellon-Maurel, directrice de l'institut Digitag. Pour elle, « économie et écologie marchent ensemble ». Les vaches se dirigent toutes seules vers les robots de traite au moment où elles en ressentent le besoin. Cela économise 4 heures de travail par jour à l'éleveur et améliore d'au moins 10 % sa production, les moments de traite étant mieux choisis et plus fréquents.

L'agriculteur s'est toujours tourné vers le ciel pour prendre ses décisions, mais satellites, drones et GPS lui fournissent une précision incroyable. Le drone agricole de Parrot peut cartographier 30 hectares en 25 minutes, impeccable pour surveiller parcelles, animaux, et santé des plantes. Par exemple, selon qu'elles réverbèrent plus ou moins de lumière (si elles ont plus ou moins de feuilles), sera déterminé leur besoin en azote. L'agriculteur gagne aussi en confort. Un robot le suivra qui pourra porter des charges lourdes. Fini aussi les nuits à s'angoisser dans l'étable. Un système inséré dans le vagin de la vache prévient l'agriculteur sur son smartphone de l'arrivée du vêlage.

Vidéo En Normandie, les vaches envoient des SMS

La révolution culturale va-t-elle s'accompagner d'une révolution culturelle ? Ayant atteint l'autosuffisance alimentaire au début des années 1980, les campagnes françaises avaient l'impression d'avoir accompli leur mission. Les voilà pourtant vouées aux gémonies. Produire de la viande devient un péché, on agresse les bouchers. « Pour la première fois de son histoire, la population agricole devient une minorité parmi d'autres », dit le sociologue Bertrand Hervieu. Cette minorité se sent souvent isolée, incomprise. Accusée de détruire la nature, elle qui en est si proche, elle est aussi la plus exposée au suicide. Elle comprend mal l'arrivée des capitaux extérieurs, l'évolution « de la ferme à la firme »(*) pourtant nécessaire quand un robot de traite vaut 150.000 euros et que plus du tiers des agriculteurs ne touchent pas plus de 350 euros par mois. L'agroécologie et les agtech devraient leur permettre de redresser la tête, de revaloriser leur métier en gagnant en confort, en le rendant donc plus ouvert aux femmes : « J'ai trait pendant vingt ans et j'avais très mal aux épaules. Maintenant, j'ai deux robots. Quel confort ! » raconte Mary, une agricultrice, sur Web-agri. Les plates-formes telle La Ruche Qui Dit Oui les remettent en lien direct avec le consommateur. Twitter aussi : « Je travaille seul toute la journée. Twitter me permet de créer des liens avec l'extérieur », raconte le céréalier Vincent Guyot. A ses 4.000 abonnés, il raconte son métier. « Tout cela est un moyen de mieux inclure l'agriculteur dans la société », conclut Véronique Bellon-Maurel. Après la réalité, voilà l'agriculteur augmenté.

* « Le Nouveau Capitalisme agricole : de la ferme à la firme », par François Purseigle, Geneviève Nguyen et Pierre Blanc. Presses de Sciences Po, 2017.

Sabine Delanglade

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