Si vous ne la connaissiez pas avant, eh bien, c'est fait ! Désormais, plus de deux milliards de téléspectateurs n'ignorent plus le nom de Clare Waight Keller, qui a réalisé la robe de mariée de la duchesse de Sussex, Meghan Markle. Il serait impudent d'écrire que cette créatrice à la carrière affirmée ne compte pas parmi les stars de la mode, alors qu'elle est arrivée en mai 2017 à la tête de la maison Givenchy. Mais on peut légitimement se demander qui est vraiment cette jeune femme dont la discrétion est proverbiale, alors qu'elle court de succès en succès stylistiques. C'est le paradoxe de Clare : elle est aussi plébiscitée que réservée. Même l'exposition extraordinaire suscitée par le mariage royal semble glisser sur sa douce silhouette. Avec un sourire de Joconde, elle explique poliment : « C'était une expérience fabuleuse. Quel honneur pour une Anglaise ! C'était aussi un moment spécial, parce que Meghan est si fraîche, si moderne. Depuis, nous réalisons régulièrement chez Givenchy des tenues pour elle. À travers sa garde-robe et ses choix, elle reste une femme indépendante. »

"QUEL HONNEUR POUR UNE ANGLAISE DE DESSINER LA ROBE DE MARIÉE DE MEGHAN MARKLE !" CLARE WAIGHT KELLER

De fait, Clare Waight Keller a un flegme tout britannique. De la modestie. Et, pourtant, quel parcours ! On pourrait dire qu'elle a une connaissance épistémologique de la mode. Elle a débuté chez Calvin Klein, puis s'est aguerrie chez Ralph Lauren. A rejoint Gucci en 2000, pour devenir ensuite directrice artistique de Pringle of Scotland, où son talent pour la maille a été salué. Et elle a marqué de son empreinte la longue lignée des stylistes Chloé, de 2011 à 2017, avant de rejoindre Givenchy, succédant à Riccardo Tisci. Elle s'y est tout de suite sentie à l'aise. Outre le coup de projecteur insensé que lui ont valu les noces de Meghan et Harry, elle s'est installée dans cette maison vénérable en toute décontraction. Revisitant avec bonheur l'héritage de son fondateur, Hubert de Givenchy, comme on lit un roman sentimental : « Il est important de connaître le passé d'une telle maison. Cela contextualise tout. Il faut être respectueux de ses racines, ce qui permet de continuer son histoire. Il y a de la profondeur dans la façon dont le savoir-faire d'une marque de luxe s'exprime. C'est un fil précieux pour la faire évoluer dans le monde d'aujourd'hui. »

"MON MOT D'ORDRE EST JUSTE DE RENDRE LES FEMMES BELLES." CLARE WAIGHT KELLER

Une maison, Givenchy, qui se prête encore à une tradition ultime française, la haute couture, exercice tout nouveau pour la créatrice britannique. Lors de son deuxième défilé couture, qui a eu lieu le 1 er juillet dernier, elle a salué le talent d'Hubert de Givenchy, décédé quelques mois auparavant. Un hommage ému et appuyé où l'on décelait dans chaque modèle l'esprit d'Audrey Hepburn, silhouette gracile et symbole éternel d'une mode raffinée. « Je suis passée par toutes les expériences, confie Clare. À l'étranger et dans le prêt-à-porter. Aborder la couture, c'est comme entrer dans un rêve. Cela allait même au-delà de mes fantasmes les plus fous. J'ai dessiné deux collections couture, et je dois avouer que j'adore ça. La création est sans limites, les connaissances se perpétuent, l'artisanat vous bouleverse. Seule la haute couture peut vous emporter ainsi... » Elle réfléchit à ces défilés d'exception dans le salon qu'occupait Monsieur de Givenchy, qu'elle a rencontré peu de temps avant sa mort. Comme un lien qui perdure, une conversation qui se poursuit. « J'ai réalisé en parlant avec lui que la haute couture était son obsession. C'était le point ultime de sa vie créative. Il l'aimait plus que tout. Il aimait ce rapport particulier avec les clientes, intime, privé, exclusif. Répondre aux désirs des femmes, cela me parle aussi... J'y suis très sensible. »

Et toutes les femmes veulent se faire habiller par Clare Waight Keller ! Meghan Markle, bien sûr, mais aussi Rihanna, Beyoncé, Julianne Moore, Cate Blanchett... la liste est longue. La créatrice n'en retire aucun orgueil, pose rarement avec les stars. Pourquoi viennent-elles toutes la voir ? « Sans doute parce que je les regarde comme des amies. J'essaie de les comprendre. C'est vraiment excitant de travailler avec des personnalités aussi différentes, on est un peu entre le réel et la féerie. Je peux m'exprimer à travers plein de domaines, trouver un équilibre dans le classicisme, tout en jouant sur la puissance et le dynamisme. Sans vouloir me flatter, je sens immédiatement quand une personne n'est pas bien dans une tenue. Dès qu'elle est devant le miroir, je sais ce qu'elle pense. Alors, sans doute, une relation de confiance s'installe. Je ne cherche pas à promouvoir une mode spectaculaire, mais à insuffler du style et de la féminité dans le confort. Mon mot d'ordre est juste de rendre les femmes belles. » Clare a un avantage certain : c'est une femme. On connaît le pragmatisme des créatrices, qui abordent fatalement la mode d'une autre façon que les créateurs, plus cérébraux dans leur approche de la féminité : « Bien sûr qu'être une femme change tout. Parce que nous partageons les mêmes questions. Et si tu portais cela avec tel sac ? Ou pourquoi pas avec des bottes ? Et si tu te coiffais ainsi ? Ah non, là, c'est trop sévère... J'y pense tout le temps parce que c'est ce que je ferais si je mettais telle ou telle tenue. L'essentiel, c'est de se sentir bien. »

Et ce confort fashionable est immédiatement perceptible lors qu'on voit le succès de sa collection de prêt-à-porter automne-hiver 2018-2019, qui brille de quelques pépites. À l'instar des manteaux en fausse fourrure, majestueux et désinvoltes. Des bottes zippées, qui, selon l'humeur et l'ouverture de la fermeture Éclair, adoptent un style classique, rock ou délibérément cool. Des robes aux imprimés flamboyants, drapées sur la hanche, de ces robes qui effacent tous les défauts et se portent par tout, du matin au soir. De son nouveau sac, le « GV3 », en référence à l'adresse historique de Givenchy, 3, avenue George-V, à Paris, réussite d'accessoire, un domaine où elle excelle, quand on connaît les nombreux best-sellers qu'elle a réalisés chez Chloé, dont le sac « Drew », vrai triomphe commercial.

« Bien sûr qu'être une femme change tout. Parce que nous partageons les mêmes questions. Et si tu portais cela avec tel sac ? Ou pourquoi pas avec des bottes ? Et si tu te coiffais ainsi ? Ah non, là, c'est trop sévère... J'y pense tout le temps parce que c'est ce que je ferais si je mettais telle ou telle tenue. L'essentiel, c'est de se sentir bien. » CLARE WAIGHT KELLER

Tout semble lui réussir, de cette campagne de pub avec un chat, image forcément adorable, jusqu'à son prochain parfum, qui sortira à la rentrée. Clare Waight Keller, elle, ne s'étonne de rien. Elle a construit un équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie privée. « Je suis à Paris pour Givenchy et, en fin de semaine, je rejoins ma famille à Londres. Ainsi, je reste concentrée sur mon travail et, quand je rentre chez moi, je me consacre entièrement à mes proches. C'est assez idéal, je dois dire ! » Cette Angleterre, elle la chérit, y revient toujours. Née à Birmingham, dans la ville de la révolution industrielle, Clare a été initiée à la mode par sa mère, qui cousait tout le temps. Elle a grandi dans la laine, entourée d'aiguilles et de machines à coudre. Elle continue l'histoire dans cette belle maison de couture, dont elle est la première femme à prendre la tête. Comme une évidence, car Givenchy, toujours dirigée par des hommes, n'est-elle pas la plus féminine des grandes maisons françaises ?