Le Magic Land Théâtre, envers et contre tout
- Publié le 19-09-2018 à 18h49
Sous son épaisse chevelure poivre et sel, un anneau discret dans l’oreille gauche, un regard rieur et un sourire avenant. Et puis, ce grain de voix si particulier qui, dès qu’on vous présente Patrick Chaboud - si vous ne l’aviez pas reconnu au premier coup d’œil - comme le papa de la célèbre marionnette des années 1980 et 1990 (et début 2000) sur la RTBF, Malvira, vous fait dire "A h ! Mais oui ! Bien sûr !".
Mais ce serait bien trop réducteur que de s’arrêter à cette facette-là de Patrick Chaboud. Artiste de rue, comédien, auteur, metteur en scène, scénariste et sculpteur, il est un véritable saltimbanque des temps modernes. Né en 1951 à Lyon dans une famille "très simple", Patrick Chaboud a 17 ans lorsqu’éclate la contestation du Printemps 68. "Mon point de départ a été Mai 68, raconte-t-il, le moment où on se dit ‘Ce n’est plus possible ; on ne va pas pouvoir continuer comme ça !’. Quand j’ai vu que les choses rentraient dans l’ordre comme avant avec juste quelques améliorations, pour moi, ce n’était pas possible de retourner en arrière et de renier tout ça. À 25 ans, peut-être que j’aurais accepté de rentrer dans le rang, mais là, j’avais 17 ans, j’étais encore un adolescent et j’ai osé faire le pas."
D’un kibboutz au Magic Land
En quête d’"autre chose", d’"un monde où les rapports, les valeurs, les échanges, la propriété… seraient bien différents", le jeune Patrick part vagabonder à travers le monde. À 20 ans, il rejoint en tant que volontaire un kibboutz (collectivité organisée sur la base de la propriété commune des biens et censée pourvoir à tous les besoins de la communauté) en Israël. "J’ai cueilli des fruits, travaillé avec un menuisier. C’était fabuleux, se souvient-il. C’est l’expérience qui a bouleversé toute ma vie et a fait que le reste a suivi." Après un an, il retourne en Suède où il vivait alors avec l’idée de créer un kibboutz en Europe. "J’étais jeune et donc j’avais une énergie démentielle. J’ai rassemblé une trentaine de personnes que je connaissais et j’ai créé un Magic Land Commune, car, avec une douzaine de nationalités différentes, la langue véhiculaire était l’anglais."
Puis, embarqué "dans deux camionnettes" avec une dizaine de compagnons, il quitte la Suède pour la France. "J’étais vraiment dans une naïveté crasse en étant persuadé qu’on allait nous offrir comme ça des terrains où on allait pouvoir s’installer et bâtir un autre possible, rit-il. Bon, j’ai très vite compris que ce n’était pas si simple que ça." Au fil de ses pérégrinations, le petit groupe débarque dans un village des Pyrénées. Rattrapés par la réalité de la vie quotidienne, ils commencent à fabriquer et vendre des marionnettes "et peu à peu, nous avons donné des spectacles de marionnettes dans les écoles. Puis pour les adultes : c’était du jamais-vu ; on était bien avant les Guignols. Ensuite, on a commencé le théâtre de rue." Le Magic Land Théâtre était né.
Qualité, simplicité, accessibilité
Mais c’est à Bruxelles que le Magic Land va trouver son port d’attache. Voici en effet 40 ans que Patrick Chaboud y a posé ses bagages. "Au départ, nous étions juste de passage pour une tournée à Bruxelles. Mais il y a eu Lollipop (NdlR : émission pour enfants de la RTBF où apparaissait la marionnette Malvira), la rencontre avec Philippe Geluck, la proposition de rentrer à la RTBF. J’ai défait mes valises et je suis toujours là."
Quand la compagnie débarque à Bruxelles en 1978, "on nous a dit que les gens n’allaient pas au théâtre ou alors très (trop) peu, se rappelle Patrick Chaboud. Et j’ai répondu : ‘Hé bien, alors, on va aller les chercher dans la rue.’ Et c’est ce qu’on a fait." Et le public répond présent. "Je me souviens d’une dame qui, un jour dans la rue, à la fin d’un spectacle, me demande : - ‘Dites, c’est du théâtre, là ce que vous faites ?’ - ‘Oui !’ - ‘Ah ! Parce que ça, j’aime bien’. Cela résume assez bien ce qui a continué à nous arriver jusqu’à aujourd’hui : des gens qui se sont toujours sentis un peu exclus de la grande tradition théâtrale et qui retrouvent chez nous un air frais, à savoir du spectacle, de qualité, mais avec une simplicité, une accessibilité. C’est ça l’ADN du Magic Land."
De fil en aiguille, la compagnie ouvre un petit café-théâtre avenue Brugmann, puis part en résidence au Botanique pendant huit ans, avant d’investir, en 1994, son propre lieu, rue d’Hoogvorst à Schaerbeek, à deux pas de la place Liedts. "Le public se demandait si ce que nous faisions en salle ressemblait à ce que nous faisions dans la rue. Les gens sont donc d’abord venus un peu par curiosité… et ils sont restés. Aujourd’hui - c’est un phénomène, je pense, qu’aucun autre théâtre ne peut revendiquer -, nous avons quatre générations différentes de spectateurs, qui viennent parfois et même souvent ensemble. C’est fou ! Qui plus est, au moment où les gens s’enferment devant leur tablette, leurs séries télé…, on a ramené au théâtre vivant une série de gens."
En 40 ans, Patrick Chaboud a écrit plus de 80 pièces pour le Magic Land, toujours imprimées "de manière distillée et un peu enrobée" de ces valeurs qui ont forgé sa personnalité, son parcours et le théâtre qu’il en a fait. Son principal message ? "L’idée est de croire qu’il est possible de faire autre chose. Cela paraît très théorique, très abstrait, mais j’en suis l’exemple vivant " , lance ce soixante-huitard invétéré, viscéralement attaché à la "liberté incroyable" que lui procure le théâtre de "pouvoir dire ce qu’on a envie" . D’ailleurs, "j’ai toujours dit qu’on arrêterait le jour où on n’aurait plus rien à dire" .
Un îlot de résistance
C’était sans compter le coup de massue qu’a reçu le Magic Land à l’automne dernier lorsque le théâtre (qui travaille avec une trentaine de comédiens) a appris que sa subvention - environ 135 000 euros par an - était supprimée dans le cadre des nouveaux contrats-programmes en arts de la scène 2018-2022. "On s’attendait à ne pas être augmenté, reconnaît M. Chaboud, mais pas à être rayé de la carte. Ça a été tellement subit - on était en pleine saison -, qu’on n’a pas compris, ni nous ni le public." Dans un premier temps, "j’ai dû digérer le fait qu’il y avait une possible fin", la fin d’un théâtre autre, non conventionnel, intrinsèquement lié à la quête d’idéaux de toute une vie. Mais, loin de s’avouer vaincu, "nous allons faire en sorte de tenir cette saison, quitte à faire encore des économies - on est toujours en procédure de licenciement. Si la ministre de la Culture Alda Greoli (CDH) apporte encore une aide, même provisoire, ça nous permettra de finir cette saison".
Et si les temps sont très durs pour le Magic Land, il peut compter sur le soutien de son public : "Il y a un public qui nous aide comme aucun autre théâtre ne sera aidé, remercie Patrick Chaboud. En un an, nous sommes passés de 12 000 à 15 000 spectateurs. Le Magic Land est un peu comme un symbole de résistance." Un îlot de résistance auquel toute une série de personnalités (Zidani, Philippe Geluck, Virginie Hocq, Jean-Luc Fonck…) joindront leurs forces lors d’un grand cabaret de soutien au Magic Land les 22 et 23 septembre (lire ci-dessus). Autant de petits ballons d’oxygène qui devraient permettre au Magic Land de survivre cette saison et de donner à voir deux créations (Les Trois Glorieuses, du 30 novembre au 29 décembre et Anorexia, du 26 avril au 11 mai) et trois reprises.
Retrouvez le programme de la saison 2018-2019 sur www.magicland-theatre.com
À vos agendas
Quoi ? Face à la suppression des subsides de la Fédération Wallonie-Bruxelles au Magic Land Théâtre dans le cadre des nouveaux contrats-programmes 2018-2022, son directeur artistique Patrick Chaboud et toute la troupe sont bien décidés à tout tenter pour réunir des fonds et le sauver.
Quand ? Deux soirées de soutien prendront la forme d’un grand cabaret. Le samedi 22 septembre (20 h), le Magic Land proposera un best of d’extraits de spectacles et de chansons de son répertoire, en compagnie de Zidani et Philippe Geluck. Le dimanche 23 septembre (15 h et 20 h), le Magic Land invite ses amis : Zidani, Geluck, Virginie Hocq, Richard Ruben, Carlos Vaquera, Jean-Luc Fonck… présentés par Jean-Louis Lahaye et Maria Del Rio.
Où ? Au Théâtre Saint-Michel. Infos&rés. au 02.737.04.40. ou sur www.theatresaintmichel.be