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Fraude fiscale : vie et demi-mort du «verrou de Bercy»

A défaut de le supprimer formellement, les députés s'apprêtent à vider de sa substance le monopole, réservé au ministère de l'Economie, de déclenchement d'une procédure pénale pour fraude fiscale.
par Renaud Lecadre
publié le 17 septembre 2018 à 16h54

Une mini-révolution, à défaut d’un grand soir. Les députés s’apprêtent, dans une rare unanimité, à restreindre bigrement le «verrou de Bercy», faute de le supprimer purement et simplement. Pour mémoire, il s’agit du monopole du ministère du Budget de déclenchement d'une procédure pénale pour fraude fiscale, en sus de sa propre procédure administrative de redressement fiscal – bref, d’instaurer une double poursuite pour les mêmes faits.

Ce satané verrou n'existe pourtant dans aucun texte législatif, il s'est imposé à l'usage, au nom de l'antique principe non bis in idem (on ne peut être poursuivi deux fois pour les mêmes faits), plus prosaïquement pour ne pas encombrer des tribunaux pénaux déjà surchargés de délits financiers divers et variés. Mais voilà, les temps ont changé. «La fraude fiscale, auparavant considérée comme une simple atteinte aux intérêts financiers de l'Etat, est aujourd'hui perçue comme un trouble à l'ordre public», résume Emilie Cariou, rapporteuse (LREM) de la commission des finances de l'Assemblée nationale. De quoi justifier l'augmentation des doubles poursuites, administrative et pénale, d'autant que le verrou est entre-temps devenu le symbole d'un traitement à géométrie variable des dossiers, selon que les contribuables concernés seraient plus ou moins en cour auprès des autorités politiques…

Périmètre réduit

«J'ai remis les clés du verrou au Parlement», proclame bravache et non sans raison Gérald Darmanin, ministre du Budget, laissant sur ce point le législatif décider à la place de l'exécutif. C'est donc à l'issue d'une mission d'information de l'Assemblée nationale qu'est issue sa réforme, en marge du projet de loi gouvernemental contre l'évasion fiscale.

A défaut, donc, de supprimer pour de bon ce foutu verrou, la commission des finances propose d’en réduire singulièrement le périmètre. Tous les redressements fiscaux entraînant une pénalité de 80% ou 100% pour mauvaise foi (1) seront désormais automatiquement transmis pénalement par Bercy au parquet, sans filtre. Mécaniquement, la pénalisation de la fraude fiscale grimperait de 1 000 à 4 000 cas par an (sur un total de 15 000 cas litigieux annuels). Sauf que la commission des finances entend instaurer un plancher de 100 000 euros avant transmission automatique au parquet – réduisant les dossiers à 2 000 par an.

Fin du secret professionnel du fisc

Globalement, le compromis dégagé semble satisfaire tout le monde. L'ONG Transparency International «salue cet amendement remettant en cause le verrou de Bercy, le statu quo n'étant plus tenable». Même le député «insoumis» Eric Coquerel souligne «d'importants progrès reprenant une partie non négligeable des propositions» élaborées de façon transpartisane au sein de la commission des finances. Même si d'aucuns auraient aimé jouer les monsieur Plus, comme l'UDI Charles de Courson : «On conserve le verrou de Bercy pour les dossiers qui ne répondent pas aux critères [de transmission automatique au parquet, NDLR], soit 13 000 par an.»

Pour ces derniers cas, toutefois, la rapporteuse dégaine un amendement prévoyant cette autre petite révolution : la fin du secret professionnel des agents du fisc vis-à-vis des parquetiers, lesquels pourraient désormais échanger des informations à la bonne franquette, en dehors de tout cadre procédural. «Je vous demande de mesurer cette avancée substantielle», suggère Emilie Cariou. Mesurons donc, à l'instar de Gérald Darmanin, qui insiste sur cette nouvelle «forme de confiance collective permettant la levée du secret fiscal alors même que des poursuites ne seraient pas systématiquement engagées au sujet de tel ou tel dossier personnel». A ce stade du débat parlementaire, les députés LR ont brillé par leur absence des débats en commission, quand des élus PS se réservent en séance plénière le droit de remettre symboliquement sur le tapis la suppression pure et simple du verrou de Bercy.

(1) Pour les contribuables assujettis à une «simple» pénalité de 40%, seule une récidive entraînerait la transmission automatique de leur cas à la justice pénale.

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