Interview d'Anthony Cellier : "La transition écologique ne porte pas exclusivement sur la production d’énergie"

Interview d’Anthony Cellier : “La transition écologique ne porte pas exclusivement sur la production d’énergie”

Après l’anniversaire du Plan Climat, le député Anthony Cellier, membre du Conseil Supérieur de l’Energie, a accepté de décrypter pour L’Energeek les enjeux de la transition écologique. A cette occasion, il est notamment revenu sur « la philosophie du modèle énergétique » français, ainsi que sur le contrat de transition écologique qui se prépare actuellement dans le Gard.

  • Fin juin 2018, dans une tribune au journal Le Monde, vous proposiez de mettre le Parlement au cœur de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), pouvez-vous préciser ?

Pour comprendre cette tribune, où l’on demande que le Parlement puisse se saisir de la Programmation pluriannuelle de l’énergie, on peut se référer à l’exemple de la loi de programmation militaire. Dans le texte co-écrit avec Jean-Charles Colas Roy et co-signé par de nombreux autres collègues, « nous proposons une loi et non un simple décret pour la PPE ».

En premier lieu, on ne peut que constater la réussite du débat public organisé par la Commission nationale du débat public : avec près de 11 000 contributions en ligne et une grande mobilisation pour le sommet du G 400, point d’orgue d’une série de 90 rencontres qui aura rassemblé environ 8 000 participants. Cependant, concernant les choix énergétiques qui ont pourtant été longuement discutés dans le cadre de la démocratie participative, la représentation nationale, le Parlement qui incarne justement la démocratie, n’a pas l’occasion de contribuer à l’élaboration de la stratégie. Nous le regrettons, nous souhaiterions que les parlementaires soient associés aux décisions politiques et stratégiques, pour préparer l’énergie de demain.

Pour ce faire, un rendez-vous bien planifié permettrait à tous de s’impliquer, et donc de mieux préparer notre futur mix énergétique. En corolaire, on pourrait imaginer que certains parlementaires, reçoivent et accèdent à davantage d’éléments d’information – je pense par exemple à une éventuelle levée du secret défense pour des sujets tels que le nucléaire – pour qu’ils puissent avoir une vision plus large de l’ensemble des problématiques énergétiques. L’objectif ce n’est pas de transformer les politiques en techniciens ou en experts, mais notre avenir énergétique n’est évidemment pas un sujet simple à appréhender, alors qu’au demeurant, ces choix engagent notre pays pour des années, voire même pour des générations…

  • Lors de la restitution des premières conclusions du débat public sur la programmation pluriannuelle de l’énergie, Jacques Archimbaud a déploré « une certaine défiance sur le nombre et la qualité des outils de suivi de la politique énergétique qui paraissent éclatés, voire concurrents » ; selon vous quels sont les bons indicateurs pour évaluer les progrès de la transition énergétique ?

La priorité, c’est de fixer une trajectoire ou un cap qui soit crédible. Ensuite, comme nous le disions, ce qui importe à nos yeux c’est qu’on puisse discuter de ces enjeux au Parlement. Cette demande est d’autant plus fondée, que l’une des missions du Parlement, c’est justement le contrôle de l’action du gouvernement.

Le 13 juin dernier, des tables rondes sur le mix énergétique et l’efficacité énergétique étaient organisées à l’Assemblée Nationale par les commissions des affaires économiques et du développement durable. Pour autant, l’Assemblée ne peut pas se contenter d’assurer les auditions des acteurs de la filière énergétique, il faut aussi qu’elle puisse se prononcer sur la trajectoire de la PPE et ses priorités, afin de proposer une vision d’ensemble.

A l’heure actuelle, ces enjeux ne sont pas à la portée du pouvoir législatif, puisque le décret de la PPE relève par nature du domaine réglementaire. C’est pourquoi, plus il y aura d’échanges avec la représentation nationale, plus nous pourrons assumer le contrôle dont nous avons la charge. Après les indicateurs seront évidemment la traduction des objectifs qui auront été retenus lors de nos échanges démocratiques.

  • Dans une tribune au Parisien, Sebastien Lecornu explique que “demain, notre énergie sera produite par quelques gros centres de production, qui assureront toujours la sécurité de notre approvisionnement principal”. Que comprendre de cette déclaration à la lumière des discussions autour du tarif TURPE 5 ?

D’abord, il faut rappeler qu’il y a une obligation de solidarité sur la gestion du réseau. En effet, il me semble que ce qui caractérise l’originalité de notre modèle énergétique, c’est justement cette solidarité qui permet à tous d’avoir accès à l’électricité sur l’ensemble du territoire, même dans les territoires les plus enclavés, où l’exploitation du réseau est par définition non rentable. C’est pourquoi, il est important de préserver cette philosophie de distribution.

Et pour l’autoconsommation plus précisément, il faut aussi se poser les bonnes questions : est-ce que ce sujet s’explique par la satisfaction des particuliers à consommer ce qu’ils produisent ou l’envie de contribuer à produire une énergie verte ? Les deux considérations ne sont pas du même ordre, la première revient en quelque sorte à opter pour une consommation individualiste, tandis que la seconde valorise une approche plus contributrice des « consomm’acteurs ». Néanmoins, avec l’autoconsommation, il ne faut pas qu’on ouvre la boîte de Pandore, où ceux qui seraient en capacité de produire leur propre énergie pourraient y avoir accès de leur côté, tandis que les autres en seraient privés. En revanche, si l’autoconsommation permet aux personnes isolées d’avoir accès à l’énergie, il faut évidemment l’encourager.

De même, pour accroître l’engagement des citoyens en faveur du développement des énergies renouvelables, il faut bien entendu veiller à conserver une dimension incitative au développement des ENR pour les autoproducteurs/autoconsommateurs.

  • Dans une récente étude, Jacques Percebois, directeur du CREDEN explique qu’à partir de 30% d’énergies intermittentes au sein du mix électrique, on devra “stocker une partie importante de cette électricité sous forme de power-to-gaz et cela sera collectivement couteux”, partagez-vous son analyse ?

De mon point de vue, le power-to-gaz est sans doute une solution au problème du stockage. La France est en train d’opérer une transformation de son modèle énergétique. Là où notre système électrique reposait principalement sur un socle : l’énergie nucléaire, désormais, nous aurons plusieurs ressources complémentaires qui composeront le bouquet énergétique français. Celui-ci n’a donc pas vocation à devenir monolithique, aucune technologie ne doit être privilégiée au détriment des autres, il faut trouver le bon équilibre, et cela vaut aussi pour le stockage : le P2G devra être développé, tout comme les STEP ou les batteries au lithium. Cependant, au moment où nous parlons, il serait bien difficile de savoir quelles technologies seront les plus performantes d’ici quelques décennies… Les experts sont là pour proposer différents scénarios et appuyer la décision des responsables politiques, qui eux doivent fixer le cap…Méfions-nous de la tendance qui consiste à transformer les politiques en techniciens !

  • Que pensez-vous du dispositif des Contrats de transition écologique (CTE) ?

J’ai été à l’initiative du contrat de transition écologique dans ma circonscription du Gard. Avec ce dispositif on est en train d’inventer une nouvelle façon de travailler, vraiment disruptive. Et c’est tellement disruptif que ça en devient déstabilisant pour les collectivités, les services de l’Etat … Or, pour avancer dans ma réflexion, je suis persuadé qu’il faut à un moment ou un autre être déstabilisé, pour se remettre en question et avancer de façon pragmatique !

Non seulement je suis intimement convaincu que cette démarche est la bonne, mais en plus elle correspond à l’ADN de La République En Marche (LREM). Lorsque nous avions élaboré le programme d’Emmanuel Macron pendant la campagne de 2017, nous étions allés au contact des Françaises et des Français, pour avoir des réponses de terrain. Pour les CTE c’est exactement le même mécanisme que nous cherchons à reproduire, en travaillant avec les Établissements Publics Coopération Intercommunale (EPCI) sur l’avenir de leur territoire et la trajectoire écologique à créer. On a ainsi réussi à impliquer aussi bien la région que les services déconcentrés de l’Etat, tout en se posant des obligations de résultats.

Sur la communauté de communes du Pont du Gard et dans l’agglomération du Gard rhodanien, les projets que nous choisirons viendront renforcer la dynamique locale ; nous développerons par exemple l’énergie solaire photovoltaïque sur des sites industriels en fermeture, et pas uniquement à Aramon, mais nous soutiendrons aussi des projets de ferroutage et d’autres initiatives qui concerneront la filière nucléaire, tant pour le démantèlement des anciennes installations que pour la gestion des déchets. Cela sera l’occasion de solliciter le savoir-faire des nombreuses pépites du Gard rhodanien.

En somme, ce que je peux vous dire c’est que le contrat de transition écologique ne concernera pas uniquement la production d’électricité verte. Au total, une dizaine de fiches actions seront ainsi présentées prochainement, tandis que les projets seront localisés aussi bien dans la communauté de communes du Pont du Gard que dans l’agglomération du Gard rhodanien. Seulement attention, la transition écologique ne porte pas exclusivement sur la production d’énergie, mais elle ne doit pas être prétexte à faire du greenwashing : aussi nous serons particulièrement attentifs à ce que les engagements pris par les entreprises contractantes soient respectés. Notre objectif est simple : prouver qu’écologie et économie sont compatibles.

Rédigé par : Anthony Cellier

Anthony Cellier
Anthony Cellier est député LREM de la 3e circonscription du Gard et membre titulaire du Conseil supérieur de l'énergie.
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COMMENTAIRES

  • Incroyable que dès qu’une personne a une once de pouvoir (ici un député LREM) il veut donner des leçons et se lancer sans la moindre expérience ou compétence dans le domaine.
    Là où c’est grave c’est quand les choix économiques ne sont pas pertinents (par ex. dès qu’on commencer à subventionner une solution, c’est à dire taxer les citoyens pour la financer), faussant ainsi le jeu de la sélection naturelle vers un optimum que permet la concurrence.
    Encore plus grave : quand les choix techniques ne sont pas pertinents. On peut se retrouver alors dans une impasse encore plus coûteuse car il faut casser ce qu’on a construit à grands frais, pour se lancer dans de nouveaux investissements aussi coûteux.
    La mode de la “démocratie participative” tous azimuts est aussi absurde : sur un sujet très technique, la consultation citoyenne (manipulée par des lobbies politiques ou financiers) ne peut conduire à un choix optimal.
    Pourquoi ne pas laisser les industriels répondre au besoin, et …. que le meilleur gagne !

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  • Tout ceci sent l’amateurisme, tant au niveau technique que financier, sans certitude que, en fin de compte, après tant de milliards d’euros dépensés, on fasse baisser les émissions de CO2.

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