Témoignage

Toms Skujins : «Les gens ne le savent pas assez, mais le vélo est un sport très drôle»

Tour de France 2018dossier
Le Letton de 27 ans raconte à «Libération» son premier Tour de France. Loin de l'affaire Froome, proche d'une envie de s'amuser comme quand il était ado.
par Pierre Carrey et Ramsès Kefi, envoyés spéciaux à Quimper
publié le 11 juillet 2018 à 20h33

Toms Skujins a un peu les boules : il a un maillot blanc à pois rouges (trophée du meilleur grimpeur) mais toujours pas de maillot de bain pour faire le rorqual dans la piscine de son hôtel. Libération a longuement rencontré ce Letton de l'équipe Trek-Segafredo, pieds nus au bord de l'eau. Un néophyte du Tour de France de 27 ans. Drôle, revigorant. Il parle toutes les langues, il sait tout faire – sprint, montagne, pavés – il dit qu'il «s'éclate». Son cerveau a déjà tout oublié de son terrifiant Tour de Californie en 2017, quand il s'est relevé d'une chute complètement étourdi, marchant comme s'il était à deux grammes, reprenant son vélo et continuant la course quelques centaines de mètres. Le sang coulait derrière lui, il venait d'avoir une commotion cérébrale. Une voiture a fini par le faire descendre de vélo.

Skujins ne veut garder que les bons moments. Pour Libé, il raconte son premier Tour de France de l'intérieur. Le mot «plaisir» plein la bouche. Et voilà qu'il s'échappe mercredi dans la 5e étape, entre Lorient et Quimper, décrochant le maillot à pois et le prix du plus combatif, tandis que le champion du monde Peter Sagan s'imposait au sprint.

Le maillot à pois

«Je suis venu sur le Tour pour aider mes leaders, Bauke Mollema [pour le classement général] ou John Degenkolb [pour les sprints], éventuellement pour essayer de gagner une étape. Je prends le maillot à pois grâce à mon échappée. Un seul mot : énorme. Ce n'était pas prémédité. La veille, je me disais qu'il y avait un beau terrain de jeu dans les côtes, mais je n'ai pas trop étudié le parcours. Vous avez vu la taille du livre de route avec toutes les cartes ? C'est trop long. Je préfère me décider en cours de route. Deux secondes et paf ! J'attaque. Je vais voir si je peux garder ce maillot les prochains jours [jeudi la sixième étape sera de nouveau vallonnée entre Brest et Mûr-de-Bretagne, ndlr]. Il est pas mal, ce maillot. Quoiqu'un peu grand. Je suis à la limite de flotter dedans.»

L’affaire Froome

«J'ai vu un petit garçon avec une pancarte qui disait quelque chose de terrible sur un coureur [Christopher Froome, contrôlé positif au salbutamol en septembre, blanchi une semaine avant le départ du Tour, ndlr]. J'ai eu de la peine pour ce petit : le Tour de France ne devrait pas être ça. Ça ne se résume pas aux scandales. Les journaux disent que l'ambiance est plombée. Je me sens moyennement concerné. J'ai commencé le vélo à 14 ans, je n'avais pas d'idole. J'ai découvert à 18 ans seulement que ce n'était pas un loisir mais aussi un sport pro. Autant vous dire que j'ai bien l'intention de m'éclater pendant trois semaines.»

Le plaisir

«Quand j'étais ado, j'étais dans un club de copains en Lettonie. Ça s'appelait Mars, comme la planète. Aujourd'hui, je voudrais retrouver cette mentalité de loisir. En France, on pense que le cyclisme est un sport hypersérieux. Quand je courais au Vélo Club la Pomme Marseille [en 2011 et 2012], on me disait toujours : "Faut faire le job !" Mais je ne suis pas prêt à accepter la souffrance de ce sport si je ne profite pas du reste intensément : les voyages, la nature, les copains, les rencontres, les bons moments… J'ai plus l'âme d'un vététiste que celle d'un cycliste sur route traditionnel.»

La déconne

«Les gens ne le savent pas assez, mais le vélo est un sport très drôle. Y compris sur le Tour de France. Tenez, sur la deuxième étape, il y avait un spectateur avec une roue de vélo accrochée sur la tête. Un truc ridicule qui nous a bien fait rire. Pour moi, le vélo est un sport fun. L'autre jour, on a mis de la musique allemande à fond dans le bus, un truc de supporters de foot. On s'est mis à danser. Notre équipe nous laisse faire car elle sait que l'on peut être sérieux quand il faut. Je ne me serais pas vu dans une équipe triste. J'aime bien l'ambiance chez nous, assez relax. Les consignes dans l'oreillette ne sont pas agressives, plutôt du genre : «Les gars, on va passer dans un petit village sur des routes étroites, essayez de bien vous placer !»

Dans le peloton, j’ai quelques blagues favorites : faire croire à un coureur que je lui pisse dessus sans faire exprès alors que je lui arrose les jambes avec mon bidon d’eau ; enlever le câble du dérailleur pour que le gars pédale dans le vide… Ma mission : essayer de faire ces blagues sur le Tour. Au moins dans le départ fictif, avant que la véritable course commence. C’est gamin, mais ça fait du bien.»

Les paysages

«Le parcours est plus beau à regarder à la télé, avec des vues d’hélico, qu’enfermé dans le peloton. Mais on voit de très belles choses : en ce moment l’océan, bientôt les Alpes – j’ai hâte d’être à Annecy [les 16 et 17 juillet], on m’a dit que c’est superbe. J’ai bien envie de voir Carcassonne aussi [les 23 et 24 juillet]. J’ai déjà vu la cité en passant sur l’autoroute et ça m’a vachement plu. Sauf si on se bat à 60 km/h pour se positionner dans le finale, on peut redresser la tête et regarder autour de nous. En Vendée, il y avait un virage dans un petit village, noir de monde, avec des spectateurs aux fenêtres. C’est pour moi l’image typique du Tour et l’image classique de la France profonde.»

Le temps libre

«Je roule, je mange, je lis. Mon dernier bouquin, les Chemins de la liberté, de Slawomir Rawicz, raconte l'histoire d'un officier polonais condamné à 25 ans de goulag. Maintenant, j'attaque la biographie d'Andre Agassi, bien écrite, il paraît. Sur le Tour, la bouffe est top. Le cuistot de mon équipe me gâte avec mon péché mignon, les pommes de terre. C'est notre trésor national en Lettonie, on paye même les gens en patates plus qu'en espèces. Purée, frites ou vodka, j'adore la pomme de terre sous toutes ses formes. Enfin… La vodka attendra !»

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