L'adieu à Jacques Saadé, fondateur de CMA CGM

La cérémonie à la Major vient de prendre fin. En rade, les navires actionnent leurs cornes de brume. Le corps va être acheminé vers le cimetière Saint-Pierre.

La cérémonie à la Major vient de prendre fin. En rade, les navires actionnent leurs cornes de brume. Le corps va être acheminé vers le cimetière Saint-Pierre.

Photo Nicolas vallauri

Marseille

Jacques Saadé a été inhumé hier à Marseille, après deux vibrants hommages, à la tour et à La Major

"Pap', ce que tu as bâti, nous le poursuivrons.".Ce message, énoncé à tour de rôle dans la nef de la cathédrale Sainte-Marie-Majeure par Jacques "Junior", Tanya puis Rodolphe, les trois enfants de Jacques Saadé décédé dimanche dernier à l'âge de 81 ans, atteste qu'une page de l'histoire de la CMA CGM vient de se tourner. Mais atteste aussi que l'aventure entamée en 1978 n'est en rien achevée et que la famille, à présent regroupée autour de Rodolphe, entend bien reprendre le flambeau. Un soulagement, sans nul doute, pour les 30 000 salariés du groupe devenu le nº 3 mondial du transport conteneurisé de marchandises, et notamment pour les 2 400 qui travaillent au sein de la tour siège de Marseille et ont pu le croiser avant que Rodolphe Saadé revête, l'an passé, les habits de président. Jacques Saadé ayant conservé le titre de "président fondateur".

"Il comptait sur ses enfants pour poursuivre le travail", soulignera son Éminence le Métropolite Ignace Aloshi, le représentant de l'archevêché orthodoxe antiochien de France, d'Europe occidentale et méridionale, lors de l'émouvante cérémonie qui hier, a rassemblé dans la cathédrale près de 3 000 personnes venues de tous horizons. "Il nous a quittés avec discrétion et lucidité pour que son oeuvre lui survive", ajoutera avec élégance Jean-Claude Gaudin, avant de saluer l'attachement aux valeurs familiales et à Marseille, "d'un bâtisseur dont la vie a ressemblé à un roman."

Jean-Yves Le Drian, Elisabeth Borne, Jean-Claude Gaudin, Renaud Muselier accueillis par le préfet Pierre Dartout. À l'intérieur de La Major, avant l'entrée du cercueil, puis durant la cérémonie.
Jean-Yves Le Drian, Elisabeth Borne, Jean-Claude Gaudin, Renaud Muselier accueillis par le préfet Pierre Dartout. À l'intérieur de La Major, avant l'entrée du cercueil, puis durant la cérémonie. Photos Nicolas vallauri et j.-l.c.

Ce roman, "débuté en 1978 avec quatre salariés et une seule ligne de téléphone", a fasciné Jean-Yves Le Drian. Qui hier, avec Elisabeth Borne, la ministre des Transports, représentait Emmanuel Macron et le gouvernement. Et le ministre des Affaires Étrangères et de l'Europe de poursuivre : "La guerre civile au Liban et l'exil ont poussé Jacques Saadé à mettre le cap sur une terre promise. Un lien charnel l'a alors uni à la France et il est devenu le symbole de la dimension maritime de La France." Une dimension particulièrement visible depuis le matin en rade de Marseille, avec la présence de cinq unités venues saluer une dernière fois l'armateur disparu, doublement visionnaire pour avoir cru avant les autres, en l'avenir du conteneur et en cette Chine appelée à devenir bien plus que l'atelier du monde. Parmi ces navires à la coque bleue, trois géants des mers : le Marco Polo et le Léo aux couleurs de CMA CGM, ainsi que le Gwangyang porteur de la marque APL, acquise l'an passé avec le rachat de l'armement singapourien NOL.

Leurs cornes de brume se sont fait entendre une première fois, lorsque le cortège funéraire a quitté la tour CMA CGM vers 10 h 30, après un dernier hommage des salariés (voir ci-dessous), pour se rendre à la cathédrale de La Major. L'assistance, silencieuse et recueillie, s'est levée lorsque le cercueil, après avoir traversé le parvis et une haie d'officiers de la Marine Marchande, a franchi les grandes portes pour pénétrer dans la nef et se diriger vers le portrait souriant de Jacques Saadé, au bout de l'allée. C'est devant lui que la famille a pris place.

Jean-Yves Le Drian, Elisabeth Borne, Jean-Claude Gaudin, Renaud Muselier accueillis par le préfet Pierre Dartout. À l’intérieur de La Major, avant l’entrée du cercueil, puis durant la cérémonie.
Jean-Yves Le Drian, Elisabeth Borne, Jean-Claude Gaudin, Renaud Muselier accueillis par le préfet Pierre Dartout. À l’intérieur de La Major, avant l’entrée du cercueil, puis durant la cérémonie. Nicolas Vallauri et J.-L.C.

Avec Naïla, l'épouse de Jacques Saadé, Rodolphe, Junior et Tanya les enfants, puis Farid Salem. Le beau-frère de Jacques Saadé et l'homme de confiance grâce à qui les premières escales de la CMA, la Compagnie Maritime d'Affrètement, ont pu être menées à bien. "Il nous a impliqués dans un monde maritime nouveau, il a été un grand timonier, visionnaire exigeant, infatigable et courageux." Un timonier qui après le rachat de la CGM, de l'australien ANL et du français Delmas, a fait de son groupe un fleuron. Salué par une ultime salve des cornes de brume au terme de la cérémonie, c'est dans la discrétion que l'homme s'en est allé dans sa dernière demeure, dans le caveau familial du cimetière Saint-Pierre, entouré de cèdres du Liban.

LP

"Il était un peu notre père à tous"

Dès 9 h 30 hier matin, on pouvait apercevoir une foule dense et compacte au pied de la tour CMA CGM, oeuvre de l'architecte Zaha Hadid. Une foule silencieuse et émue si l'on se fie aux quelques larmes que l'on a pu voir couler sur certains visages. Tenues sombres de circonstance pour les hommes et les femmes représentant différentes générations, tous les salariés s'étaient réunis au siège de l'entreprise pour rendre un dernier hommage à leur patron, Jacques Saadé, disparu cette semaine.

"On perd un homme exceptionnel qui représentait un peu notre père à tous, témoigne Sylviane, employée depuis 15 ans, robe noire et lunettes fumées. Dans les moments de difficulté comme ceux que nous avons parfois traversés, il était toujours là pour nous protéger."

Plus que le nombre, c'est le silence qui est impressionnant dans ce rassemblement organisé. "Il ne reste pas grand-monde en ce moment à l'intérieur de la tour, glisse d'une voix discrète l'une des personnes, à part la sécurité".

À 10 h tapantes, c'est le concert de cornes de brume venu des bateaux mouillant à proximité qui vient alourdir l'atmosphère déjà pesante de la cérémonie. Témoignage aussi sincère que sensible de l'ensemble du monde maritime à un grand capitaine d'industrie. "Grand capitaine d'industrie", c'est précisément la formule employée par Pierre-Laurent, au service de l'entreprise depuis 15 ans, qui gardera de Jacques Saadé "l'image d'un visionnaire qui a su anticiper des choix stratégiques pour le développement de la société, comme l'ouverture vers la Chine et l'Asie." Puis le ballet des voitures dans lesquelles se trouvaient la famille et les proches est venu faire un dernier tour d'honneur devant les salariés.

Ce défilé a été salué spontanément par une longue salve d'applaudissements ininterrompus. On a vu aussi l'un des enfants Saadé, celui que son père appelait affectueusement "Junior" descendre de l'un des véhicules pour venir saluer quelques-unes des personnes rassemblées devant l'entrée principale. Florent, costume gris et carrure massive, qui travaille depuis 20 ans au service de la CMA CGM dans le secteur de la logistique, est resté un peu à l'écart pendant le rassemblement. Sans pour autant rester indifférent aux images qui défilaient sous ses yeux : "Quand on voit ce genre de choses, on se dit que l'on est quand même fier d'appartenir à une telle entreprise et de partager cette belle aventure. C'est un gros atout pour Marseille, même si tout le monde n'en est pas toujours conscient." À 10 h 30 comme prévu, le cortège officiel a pris la route de La Major pour la cérémonie religieuse.Sur le parvis de la CMA CGM, l'émotion était toujours palpable.