Fisc

Face à Jérôme Cahuzac, une justice pas très ferme

La cour d’appel a ramené mardi après-midi sa condamnation pour fraude fiscale de trois à deux ans de détention ferme, peine de facto aménageable.
par Renaud Lecadre
publié le 15 mai 2018 à 18h20

Jérôme Cahuzac, condamné pour fraude fiscale, n’ira sans doute pas en prison. Mardi, la cour d’appel a rabioté sa peine prononcée fin 2016 en première instance, de trois à deux ans de prison ferme – quand il en risquait sept. Sur le papier et avec doigté : quatre ans de prison (légère aggravation symbolique) dont deux avec sursis. Bémol plus que symbolique, permettant un aménagement de peine, automatique pour toute condamnation inférieure ou égale à ce seuil. Patricia Cahuzac, future ex-épouse de Jérôme, qui avait fait bien pire que lui en matière de chirurgie capillaire payée au black dans les paradis fiscaux, condamnée à deux ans de prison ferme en première instance, s’était abstenue de faire appel – pas folle, la guêpe.

«Je ne demande pas la lune, mais je vous supplie de ne pas l'envoyer en prison», avait plaidé à l'audience son avocat en défense, Eric Dupond-Moretti. Ce ténor du barreau, plus habitué à convaincre humainement des jurés populaires aux assises, aura donc convaincu avec les mêmes arguments les magistrats professionnels de la cour d'appel. Quand en première instance, son précédent défenseur, Jean Veil, avait plaidé en vain les vices de forme tel un pitbull. La justice française aurait donc une âme, des sentiments…

Liliane Bettencourt et Johnny Hallyday

«La peine prononcée doit avoir pour effet, et je dirais même pour objet, une incarcération de Jérôme Cahuzac», avait pourtant requis le parquet, insistant sur une peine exemplaire, plus que symbolique : un ex-ministre au ballon pour avoir voulu échapper à l'impôt. En matière de fraude fiscale, délit financier non négligeable, les poursuites pénales sont pourtant rarissimes, entre 500 et 600 par an, les peines de prison ferme finalement prononcées ne visant que 20% d'entre elles, d'une durée généralement inférieure à un an. Dès lors, les trois ans ferme infligés en première instance à Jérôme Cahuzac paraissaient bien fort de café. A l'audience en appel, Me Dupond-Moretti avait ironisé sur Liliane Bettencourt, l'héritière de L'Oréal ayant battu le record hexagonal en matière de redressement fiscal (pour des montants dix fois supérieurs à ceux reprochés aux époux Cahuzac), sans la moindre poursuite pénale adjacente. Ou encore sur Johnny Hallyday et cet «hommage national rendu à un personnage qui aura passé sa vie à changer de pays pour échapper à l'impôt».

Retour au cas Cahuzac, à sa double, triple ou quadruple peine. Redressement fiscal initial de 930 000 euros (pénalités de mauvaise foi incluses) ; opprobre publique et médiatique – sa peine complémentaire de cinq ans d'inéligibilité infligée en première instance et confirmée en appel semblant dès lors superfétatoire ; et enfin peine de prison plus ou moins ferme. «Je ne voudrais pas faire un chantage, mais s'il se suicidait en détention ?» avait fait mine de s'interroger son avocat, décrivant son client comme n'ayant rien d'autre à faire de ses journées que de traîner dans son cabinet à observer murs et plafond.

Jésuitisme

Bien sûr, comme convenu, la cour d'appel lui a délivré au passage une ultime leçon de morale : «Ces agissements heurtent le principe républicain d'égalité des citoyens devant l'impôt, qui devrait être au centre des préoccupations d'un élu» devenu ministre du Budget en 2012. A pointé également ses mensonges, devant les médias puis à la barre – Jérôme Cahuzac tentant vainement de justifier ses comptes offshore par le financement de la rocardie au début des années 90. Mais mentir n'est pas un délit, tout juste et très vaguement une circonstance aggravante. Comble du jésuitisme, la cour évoque une peine de prison qui serait «pleinement justifiée» mais sans pour autant oser la prononcer formellement… Elle lui a simplement infligé en sus une amende de 300 000 euros (oubliée en première instance), pour mieux le faire payer par là où il avait pêché.

A l'issue de l'audience, Me Dupond-Moretti a salué une «décision équilibrée». Son client, accablé par les preuves, avait plaidé coupable en multipliant les paroles de repentance – «mes déclarations ont été épouvantables, elles ne tenaient pas debout, je vous présente mes excuses». Et son avocat d'annoncer illico une demande d'aménagement de peine. Il n'y aura donc pas pourvoi en cassation. Fin de l'affaire Cahuzac, du moins au plan pénal.

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