Décryptage

Pourquoi la crue de la Seine a fait remonter les rats à la surface

La montée des eaux fin janvier a agi comme un révélateur de la présence des rongeurs.
par Clarisse Martin
publié le 30 avril 2018 à 14h47

C'était une conséquence redoutée de la crue hivernale de la Seine, à la fin du mois de janvier. La montée des flots a fait sortir les rats des bas-fonds de la capitale. La crue a agi comme un révélateur. Chassés de leur terrier, les rongeurs ont, un temps, délaissé les égouts pour rôder sur les berges de la Seine et se risquer sur le bitume parisien. Les gaspards se sont fait la belle, délogés par les pluies diluviennes qui ont provoqué la montée de la Seine. Inondant les quais, le fleuve a atteint un pic le 29 janvier, culminant à 5,84 mètres. A proximité des rives, dans les arrondissements mitoyens, les flots se sont infiltrés dans les égouts. Pour sauver leur peau, les rongeurs les plus alertes ont été nombreux à trouver refuge en surface, et se frayer un chemin dans les pas des humains. Rats de marée sur la ville.

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«En période de crue, ils sont mécaniquement plus visibles puisqu'ils passent davantage de temps à l'air libre, explique Stéphane Bras, porte-parole de la Chambre syndicale désinfection, désinsectisation et dératisation (CS3D). D'ailleurs, on a eu plus de demandes d'intervention pour dératisation pendant la phase de crue». A la mairie de Paris, pas de déni : «Il y a davantage de rats en surface en période de crue, c'est une réalité. On vous déloge d'un endroit, vous allez ailleurs», admet sans peine Anne Souyris, adjointe Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV), chargée des questions de santé publique et des relations avec l'AP-HP. «Ce n'est pas agréable, mais ce n'est pas dangereux pour autant», précise-t-elle à Libération. Le docteur Georges Salines, chef du bureau de santé environnementale à la municipalité, abonde en ce sens. «La crue déplace effectivement les rats.» Plus visibles, sans être plus nombreux pour autant.

Les rats crapahutent

Un adage populaire raconte qu'il faut compter au moins deux bestioles pour un Parisien. Légende urbaine ? Tous les spécialistes tombent d'accord là-dessus : plusieurs chiffres «fantaisistes» circulent, aucun n'est fiable. Pour la simple raison qu'il n'existe pas d'instrument comptable capable de recenser la population de rongeurs avec précision. Stéphane Bras donne néanmoins une fourchette. «Une projection», nous prévient-il prudemment. Il y en aurait entre 4,5 et 6,5 millions, soit approximativement deux à trois fois la population humaine de la capitale. Si ce chiffre est à prendre avec des pincettes, une certitude : leur nombre s'est accru au cours de ces dernières années. La faute à davantage de restes de nourriture disséminés ci et là dans l'espace public, avec la multiplication des fast food et des nombreuses enseignes qui proposent des petits plats à emporter. Les rats se délectent de ces rebuts-là.

A l'orée du mois de février, au début de la lente décrue de la Seine, une vidéo publiée sur YouTube est devenue virale. Sur les images, tournées non loin de Châtelet–Les Halles, des rats crapahutent par dizaines sur les pavés. Sortis d'une plaque d'égout à la nuit tombée, ils sont vraisemblablement en quête de nourriture égarée. Vision d'horreur pour de nombreux Parisiens. Malgré l'exode d'une partie d'entre eux à cause de la crue, les rats n'ont pas tous délaissé leur terrain de jeu souterrain. Nombre d'entre eux ont persisté à se terrer dans l'obscurité. «J'avais entendu dire qu'avec la crue, ils allaient tous sortir, mais je n'ai pas l'impression d'en avoir vu plus que d'habitude à cette période», témoigne en ce sens un kiosquier, installé non loin du parvis de l'Hôtel de Ville. Même constat chez Thomas. Ce restaurateur du quartier de Châtelet est à cran, exaspéré par ce sujet sans cesse remis sur le tapis : «Je ne vois pas comment il pourrait y en avoir plus avec la crue. C'est déjà infesté à la base», peste-t-il.

«Les plus faibles, les vieux et les petits sont noyés»

La mairie de Paris a débloqué 1,5 million d'euros en septembre 2017 afin de déployer un vaste chantier de dératisation de la capitale. Au cours de l'année écoulée, les services de la Ville ont effectué 1 800 interventions dans les espaces publics. Ce lundi débute la campagne annuelle de dératisation de la préfecture. La montée des eaux a toutefois fatalement prêté main forte aux pouvoirs publics, en éliminant un certain nombre de rongeurs. «C'est vrai que la crue peut décimer une partie de la population», fait valoir Anne Souyris. «Les plus faibles, les vieux et les petits sont noyés dans les terriers. Mais ce n'est pas non plus un tsunami donc les plus vivaces ont le temps de migrer. Une partie est éradiquée, les autres élisent domicile ailleurs. On estime que 10 à 30% de la population peut-être éliminé au cours d'un tel épisode», résume à Libération le porte-parole des dératiseurs, Stéphane Bras. Si tant est qu'elle ait été fortement affectée, la démographie de la gent trotte-menu ne devrait pas en pâtir outre-mesure et n'aura aucun mal à se remettre à flots rapidement : en un an, un couple de rats peut engendrer jusqu'à 900 descendants.

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