Parcoursup, année zéro

Parcoursup : «Quand on est prof, il n'est pas toujours évident de s'opposer frontalement»

Parcoursup, plateforme d'admission dans l'enseignement supérieurdossier
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Elèves, profs, conseillers d’orientation mais aussi enseignants-chercheurs… Tous sont en première ligne face à la réforme de l’accès à l’enseignement supérieur, qui se met en place à toute vitesse. «Libération» leur donne la parole pour qu’ils racontent les bouleversements en cours.
par Marie Piquemal
publié le 19 avril 2018 à 12h30

La loi modifiant les conditions d'accès à l'université, votée mi-février, se met en place au pas de course – dans la précipitation disent certains – pour une application dès cette année. Elèves de terminale, étudiants en réorientation, équipes pédagogiques côté lycée mais aussi universités, parents… Depuis le début de l'année, Libération donne la parole à tous ceux qui sont en première ligne dans l'application de cette réforme d'ampleur. Pour que chacun raconte, avec ses mots et son ressenti, les changements vécus de l'intérieur.

Dernier épisode de la chronique«On ne sait pas prédire la réussite d'un élève»

Une enseignante-chercheure dans l’un des départements de sciences humaines de Nanterre

«D'un département à l'autre de l'université, la situation est très différente. Dans certaines disciplines, les collègues ont refusé de mettre en place les "commissions d'examen des vœux" [chargées d'éplucher et de classer les candidatures des élèves, ndlr]. Statutairement, nous ne sommes pas tenus de faire ce travail de classement, donc il est possible de refuser. Mais ce n'est pas toujours simple. Nous sommes souvent pris dans des conflits de loyauté envers, par exemple, les responsables des UFR, et il n'est pas toujours évident de s'opposer frontalement, quelles que soient nos convictions. C'est d'ailleurs pour cette raison que je ne préfère pas donner mon identité car je ne veux pas engager mes collègues, et créer des tensions entre nous.

Dans une discipline, il a été décidé, pour justement ne froisser personne et rester dans le dialogue, de ne pas participer au paramétrage de Parcoursup et d’attendre début mai, avant d’en (re)discuter. Dans un autre département de sciences sociales, les enseignants ont décidé de tous faire partie de la commission, c’est leur façon de contrôler le processus. Depuis l’annonce de cette réforme, il y a beaucoup de débats entre enseignants au sein de l’université. Autant sur le fond, avec des questions philosophiques – l’idée même de classer les élèves et de la sélection, que sur la forme : comment faire pour paramétrer. Quels critères retenir, sachant qu’ils ne peuvent être que quantitatifs : on ne peut pas matériellement regarder les commentaires des professeurs de lycée ou lire les lettres de motivation. C’est impossible.

Reportage à Nanterre Les étudiants peaufinent leur apprentissage social

Nous échangeons énormément entre nous depuis des mois, mais la mobilisation a pris un vrai tournant à Nanterre, le 9 avril dernier. Les méthodes employées par les forces de l'ordre envers nos étudiants ont fait sortir de leur réserve une partie des enseignants, qui jusque-là étaient assez neutres sur la réforme. Je pense que pour le gouvernement, la répression policière a eu l'inverse de l'effet escompté. Nous restons une minorité d'enseignants à être mobilisés, mais nous sommes déterminés. La façon dont les étudiants sont traités est inacceptable. Nous demandons une neutralisation de la loi a minima. Dans les filières qui ne sont pas sous tension, «l'outil d'aide à la décision» – qui est en fait un outil de tri – ne nous permet pas de mettre toutes les candidatures des élèves ex aequo, alors que la loi nous y autorise. Qu'un algorithme nous impose des règles au-delà du droit, cela interpelle non ?»

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