Un samedi soir de janvier, près de 110 000 personnes – plus du quart de la population de Malte – ont convergé pour faire la fête à La Valette, la charmante petite capitale de l’île, désignée Capitale européenne de la culture 2018. “La fierté nationale a atteint un niveau historique”, s’est enthousiasmé le Premier ministre, Joseph Muscat.

Peu importe que cet honneur soit partagé avec Leeuwarden, la 25e ville des Pays-Bas. Peu importe qu’il soit décerné par roulement plutôt qu’en récompense. Peu importe si une grande partie des prestations artistiques de ce soir-là n’étaient que du recyclage. Peu importe si la fierté des gens présents a été prompte à s’évaporer quand il leur a fallu attendre jusqu’à trois heures pour pouvoir rentrer chez eux en bus. Et peu importe si les célébrations ont eu lieu à peine trois mois après la pire catastrophe qu’ait connue Malte en matière de réputation : l’assassinat spectaculaire, à la voiture piégée, de Daphne Caruana Galizia, l’une des journalistes les plus connues du pays.

Culture politique clientéliste

Tout cela n’a pas eu sa place dans le discours de Muscat. Malte vit des instants extraordinaires. En population et en superficie, Malte est le plus petit pays de l’Union européenne (plus petit que le plus petit comté d’Angleterre, celui de Rutland). C’est aussi le plus densément peuplé, ce qui va en augmentant. Et c’est sans doute aussi celui qui change le plus vite.

En 1964, l’île est devenue indépendante de la Grande-Bretagne. Elle avait à l’époque un charme, disons, rugueux. Les hôtels étaient improbables, les plages sales, le carcan de l’Église catholique omniprésent, la cuisine encore sous l’influence de la Royal Navy et des clubs militaires britanniques. Mais le climat, lui, était fiable, les gens sympathiques, pleins de ressources et de tempérament, comme ils l’avaient prouvé pendant la guerre. Et, comme l’affirme un dicton local : il-maltin jafu idawru lira – les Maltais s’y entendent pour gagner de l’argent.

La politique locale avait quelque chose de fascinant : toujours bruyante, parfois violente. Le clivage entre travaillistes et nationalistes, assez proches de la démocratie chrétienne, correspondait invariablement à de vieilles rivalités qui rappelaient davantage Manchester United et Manchester City qu’un affrontement entre gauche et droite. Le tableau n’aurait pas été complet sans les arrangements politiques caractéristiques des petits pays, d’autant plus qu’une grande partie des emplois dépendaient du gouvernement. À cela s’ajoutait le système de transfert de votes, qui encourage la compétition entre candidats d’un même parti. On se fait élire parce que l’on connaît tout le monde. “Le clientélisme a toujours été là. Les pauvres qui cherchent à faire pression sur les politiques pour obtenir un travail ou une promotion”, explique Henry Frendo, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Malte.

Le vainqueur des élections impose sa loi

“Ce système est néfaste pour nous, commente Arnold Cassola, fondateur du parti écologiste maltais, dont on ne peut pas dire qu’il peine à se faire entendre, mais plutôt qu’il n’a jamais pu exister. Et pour le pays, irais-je jusqu’à dire. Les politiques peuvent offrir des emplois. Ils peuvent sponsoriser l’équipe de football locale, financer l’achat d’une clarinette p