Après des années d’immobilisme, la Commission de Bruxelles s’attaque à un problème assez général dans l’Union européenne (UE) : elle veut rétablir un peu d’« équité » dans la relation particulièrement déséquilibrée entre exploitants agricoles et grande distribution.
Jeudi 12 avril, le commissaire à l’agriculture, l’Irlandais Phil Hogan, devait présenter un projet de directive visant à interdire des pratiques commerciales déloyales et aider ainsi les agriculteurs à mieux vivre du fruit de leur labeur.
L’initiative était très attendue par les lobbies agricoles. Elle vient en complément du projet de loi, actuellement discuté en France, à l’Assemblée nationale, « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, et une alimentation saine et durable ».
Bruxelles réclame que les délais de paiement aux producteurs allant au-delà de trente jours ouvrés après la livraison des produits périssables (ou la réception de la facture) soient définitivement interdits. Le fait d’annuler au dernier moment une commande de biens périssables, alors que le producteur ne peut pas « raisonnablement trouver un autre débouché », sera aussi prohibé.
Fournir un cadre légal et protecteur minimum
Un acheteur ne devrait pas non plus pouvoir changer unilatéralement les termes d’un contrat, ni modifier la fréquence ou le volume des livraisons. Ni faire payer ses fournisseurs pour des produits qui se sont gâtés dans ses locaux. Les pratiques consistant à faire payer les producteurs pour des promotions, des invendus ou des frais de marketing seraient également interdites, à moins que ces charges supplémentaires n’aient été précisées clairement dans les contrats.
La Commission propose par ailleurs que chaque Etat désigne une autorité indépendante chargée de faire appliquer la future directive et d’enquêter sur les plaintes des producteurs : ce pourrait être l’Autorité de la concurrence en France. Bruxelles a en tête le modèle du « Groceries Code Adjudicator » britannique, qu’elle juge plutôt efficace, et qui peut traiter les plaintes des producteurs en préservant leur anonymat, de manière à éviter d’éventuelles représailles des distributeurs. Une vingtaine de pays membres disposent déjà de législations contre les pratiques commerciales déloyales, mais Bruxelles entend fournir un cadre légal et protecteur minimum à l’échelle de l’UE.
« Cela va permettre d’éviter qu’un distributeur d’un pays moins regardant contourne les règles françaises et se fournisse chez un producteur hexagonal », souligne le député européen Les Républicains Michel Dantin. L’élu apprécie l’initiative du commissaire Hogan. « Il faut saluer son courage : il a réussi contre vents et marées à imposer ce texte à l’intérieur de la Commission », assure M. Dantin. Il est vrai que Bruxelles a, ces dernières années, lancé une vaste libéralisation de la politique agricole commune (PAC), abandonnant complètement le principe des quotas et des subventions, et que toute tentative de réintroduire de la régulation dans ce secteur désormais livré aux lois du marché, est considérée avec une certaine méfiance au sein de la Commission, surtout dans ses directions générales de la concurrence et des entreprises.
M. Hogan, un conservateur libéral, a aussi proposé, fin 2017, une simplification de la PAC permettant de renforcer le pouvoir de négociation des agriculteurs en facilitant leurs regroupements en coopératives. L’Irlandais compte encore, d’ici à l’été, boucler un texte qui permettrait d’introduire une plus grande transparence, au niveau européen, dans les prix des denrées agricoles.
Luc Vernet, membre du think tank bruxellois Farm Europe, estime cependant que la directive sur les pratiques déloyales manque d’ambition : « La liste des pratiques interdites est extrêmement limitée, essentiellement aux produits fortement périssables, estime l’expert. Il n’y a rien non plus sur les annulations soudaines et non justifiées de contrat pour les denrées qui ne sont pas fortement périssables, ou sur les problèmes de transparence des enchères électroniques. »
Pour être adopté, le texte doit être approuvé par le Parlement de Strasbourg et le Conseil (Etats membres). La France montera-t-elle au créneau pour le muscler, sachant qu’il s’inscrit dans la droite ligne des Etats généraux de l’alimentation ?
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