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Décryptage

Agriculture : une loi sur l'alimentation pour plus «d'équilibre»

par Philippe Brochen
publié le 31 janvier 2018 à 18h03

Top départ. Ce mercredi, le gouvernement a présenté le projet de loi censé mettre fin à la guerre des prix entre distributeurs, et redonner un peu d'air aux agriculteurs. Cette loi «pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable» est la traduction législative des travaux réalisés pendant cinq mois par toute la filière agroalimentaire lors des états généraux de l'alimentation (EGA). «La profession agricole est la seule que je connaisse qui ne facture pas et qui ne négocie pas son prix de vente», a déclaré Stéphane Travert, ministre de l'Agriculture, selon lequel «demain, grâce à cette contractualisation inversée, les agriculteurs qui seront réunis en organisations de producteurs avec des indicateurs qui seront fournis par les filières agricoles pourront déterminer sur un bassin donné une indication de prix en deçà duquel ils ne pourront pas vendre leurs produits, car ils ne pourront pas vendre à perte».

Pourquoi cette loi ?

Pour le gouvernement, il s'agit du premier volet de sa volonté de réforme du secteur agroalimentaire. La seconde étape concernera les plans de filière. L'objectif de ce projet de loi «pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agroalimentaire et pour une alimentation saine et durable» présenté ce mercredi en Conseil des ministres est d'apaiser et d'améliorer les relations commerciales entre agriculteurs, industriels et distributeurs. Et, in fine, de mettre en place des outils de régulation à même de permettre une meilleure rémunération des producteurs.

Quels sont les principaux points du projet de loi ?

Trois axes constituent ce projet de loi. Le premier vise à «assurer la souveraineté alimentaire de la France». Pour ce faire, le texte entend inverser la contractualisation de la chaîne producteur-transformateur-distributeur. En clair, l'idée est que ce ne soit plus le vendeur final qui conditionne seul le prix vente du produit, mais que ce soit les 400 000 agriculteurs français, en fonction des coûts de production, qui fixent leur prix de vente aux 15 000 transformateurs qui, eux, le répercuteront aux cinq à dix grands distributeurs. Il s'agit pour le gouvernement d'inviter les producteurs à se regrouper. «On est toujours plus fort à plusieurs que seul», a résumé le ministère de l'Agriculture lors de la présentation du texte de loi. Tout en reconnaissant que, dans le cadre d'une économie de marché ouverte, il serait compliqué d'en venir à la coercition vis-à-vis des industriels et distributeurs récalcitrants : «Nous ne sommes pas dans une économie administrée avec des kolkhozes, même si la valeur ne se règle pas non plus à la sauvage.» Question essentielle : comment un producteur, qui évolue dans un milieu concurrentiel avec ses semblables, moins ou mieux-disant, pourra-t-il imposer son prix à un acheteur industriel ? Réponse du ministère : «La loi ne va pas régler les problèmes de compétitivité de certaines filières.» Et «si on veut que les prix soient fixés à partir de l'amont et non de l'aval comme actuellement, il va falloir user de pédagogie vis-à-vis des différents acteurs. Car la contractualisation n'est pas rendue obligatoire.»

Le deuxième axe de la loi entend «promouvoir des choix favorables pour la santé et respectueux de l'environnement». Outre – sans rire – la «préservation de la convivialité des temps de repas», le texte veut «assurer un haut niveau de sécurité alimentaire» via davantage de contrôles de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), «soutenir les modes de production respectueux de l'environnement» et «veiller au respect du bien-être animal». Après n'avoir pas retenu l'obligation de la surveillance par caméras dans les abattoirs, le projet de loi prévoit de renforcer les pouvoirs d'enquête et de contrôle des agents du ministère de l'Agriculture et d'étendre le délit de maltraitance aux abattoirs et aux transports d'animaux vivants. Et de permettre aux associations de protection animale de se constituer partie civile sur la base de constats opérés lors de contrôles officiels.

Enfin, le troisième axe du projet de loi veut «réduire les inégalités d'accès à une alimentation de qualité et durable». Pour ce faire, les promotions dans les supermarchés seront limitées à 34% du prix de vente final. «Il sera toujours possible d'acheter trois produits alimentaires pour le prix de deux, mais fini l'offre "un produit acheté, un produit offert"», explique le ministère de l'Agriculture. L'idée est également de «mettre fin au mécanisme qui permet aux distributeurs d'écraser leurs marges sur certains produits comme la pâte à tartiner et les boissons gazeuses» pour se rattraper sur d'autres produits, «typiquement ceux des agriculteurs», grâce au relèvement du seuil de revente à perte (SRP) de 10%. Plus clairement, un distributeur ne pourra plus, sans s'exposer à une sanction, vendre un produit à perte (moins de son coût d'achat), ce dernier étant majoré de 10% pour couvrir les frais de logistique et de transport. Pour les agriculteurs, la loi oblige les vendeurs de produits phytosanitaires à séparer les activités de conseil et de vente, dans l'objectif de faire baisser l'utilisation de pesticides. Enfin, en 2022 au plus tard, la moitié des produits servis dans la restauration collective devront être issus de l'agriculture bio et/ou d'une production de proximité. Ce qui, il faut l'avouer, est un poil flou.

Quand la loi sera-t-elle mise en application ?

Selon le ministère, l’objectif est qu’elle puisse entrer en application pour les prochaines négociations commerciales, qui débuteront en novembre 2018. C’est pourquoi certains articles de loi seront pris par ordonnance pour accélérer le processus, comme l’avait déjà annoncé Emmanuel Macron en octobre.

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