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Qui est Tarana Burke, la femme à l'origine de «#MeToo» ?

Harcèlement sexuel, viols: la parole libérée?dossier
Des rues de Harlem au Golden Globes, voici l'histoire de la créatrice du hashtag contre les violences sexuelles.
par Balla Fofana
publié le 12 janvier 2018 à 12h25

Et si 2018 était l'année de Tarana Burke ? Son nom ne vous dit peut-être pas grand-chose, pourtant elle a été choisie pour lancer le célèbre compte à rebours du nouvel an sur Times Square, à New York (le soir du 31 décembre), et elle était également au milieu des plus grandes actrices de Hollywood lors de la 75e cérémonie des Golden Globes. Tout sauf un hasard. L'activiste afro-américaine est à l'origine du mouvement #MeToo («moi aussi»).

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, #MeToo n’est pas né il y a trois mois à l’initiative d’Alyssa Milano. L’actrice a ouvert, le 15 octobre, la tournée planétaire du hashtag pour dénoncer les nombreux abus sexuels visant les femmes. Mais le mouvement est en fait né il y a onze ans, à New York, grâce à Tarana Burke.

Dans la foulée des révélations sur Harvey Weinstein, le hashtag a été largement utilisé sur Twitter, Facebook, Snapchat et d'autres plateformes. Sur Facebook, il a été partagé dans plus de 12 millions de messages et de réactions dans les premières vingt-quatre heures, selon Associated Press. Alors que #MeToo devient une prise de conscience planétaire sur l'omniprésence des violences ou des agressions sexuelles, de l'enfance à l'âge adulte. De nombreuses femmes appellent à ouvrir le débat sur les enjeux politiques, éducatifs, judiciaires de ce fait social et remettent en avant le combat d'activistes, comme Tarana Burke, qui sont au front depuis des années.

Par une survivante pour les survivantes

«La campagne #MeToo et Tarana Burke nous ont permis de mettre l'accent sur les victimes», a déclaré Milano dans l'émission Good Morning America, présentée par Robin Roberts. L'actrice a rendu hommage au combat dans l'ombre de la militante. La travailleuse sociale originaire de Harlem est en contact depuis des années avec les populations new-yorkaises marginalisées. En 2006, elle fonde Just Be Inc. qui éduque les jeunes femmes sur les problématiques de santé et de bien être. Un an plus tard, elle lance le «Me Too Movement», en tant qu'initiative populaire de soutien aux victimes d'agressions sexuelles dans les quartiers défavorisés.

Burke se définit comme une «survivante» d'une agression sexuelle. #MeToo prône la sororité entre survivantes fondée sur l'écoute bienveillante permettant aux femmes de transcender le statut de victime, de résister aux oppressions, de reprendre le pouvoir de s'accepter et d'agir. Son credo : «Empowerment through empathy» («l'autonomisation par la compassion»). Dans une vidéo, elle expliquait, il y a trois mois, au site Mic : «J'ai passé beaucoup de temps, au début de ma vingtaine, à me demander comment j'allais guérir. J'ai beaucoup parlé, à des amis, à ma communauté, mais là où j'ai trouvé un réel espace de parole, c'est lorsque les gens pouvaient compatir avec moi.» Avant de poursuivre : «Je crois en la beauté de #MeToo, en la beauté de la communauté, du soutien que les gens peuvent s'apporter. Ce à quoi nous avons assisté ces vingt-quatre dernières heures [sur les réseaux sociaux, ndlr], c'est la définition même d'une communauté.» Et de conclure : «Les survivantes sont les seules à pouvoir réellement comprendre les autres survivantes.»

L’invisibilisation des femmes non-blanches

Découverte sur le tard, l'histoire de Tarana Burke inspire et force le respect. Beaucoup louent sa persévérance, à l'instar de Tim Tompkins, président de la Times Square Alliance, qui a salué, le 31 décembre, «le courage et la prévoyance de Tarana Burke ont changé le monde cette année et, nous l'espérons, pour toujours», rapporte le quotidien matinal amNewYork.

Une situation qui n'a pas empêché des personnalités afro-américaines de lier la reconnaissance tardive de Burke à l'exclusion des femmes noires dans le débat sur le harcèlement sexuel. Soulevant par la même occasion un problème structurel qui pose la question de l'invisibilisation des femmes non blanches dans les mouvements féministes, entre autres. Abordé par des auteurs tel que bell hooks, dans son essai De la marge au centre : théorie féministe, le sujet a également attiré l'attention du magazine Ebony, qui a interrogé Tarana Burke sur la mémoire des luttes. Cette dernière explique que «les célébrités qui ont popularisé le hashtag n'ont pas pris le temps de vérifier si un travail avait déjà été entrepris. Mais elles essayaient de prendre position plus globalement. Je ne leur en veux pas, je ne pense pas que ç'ait été intentionnel. Pourtant, le rôle de certaines collaboratrices a failli être diminué ou effacé. Il a fallu se manifester pour que cela n'arrive pas».

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Pas rancunière, Tarana Burke déclarait lors d'une manifestation à Hollywood, en novembre, au Los Angeles Times : «Je suis vraiment heureuse d'être ici, parce que c'est vraiment Hollywood qui a ouvert les vannes.» Sa présence aux Golden Globes en compagnie de l'actrice Michelle Williams, quelques jours après l'annonce du mouvement Time's Up, lancé début janvier par plus de 300 femmes (actrices, scénaristes, avocates ou personnalités de différents secteurs) semble montrer une prise de conscience sur la nécessité d'inclure toutes les femmes sans distinction de classe ou de race dans les luttes féministes. Et de mettre en avant les innovations sociales qui partent du bas sans oublier les personnes qui en sont à l'origine.

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