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Agriculture : les robots veillent au gain

Si la problématique du bien-être animal s’intensifie, les fermes industrielles, elles, continuent leur course à l’optimisation et misent de plus en plus sur le high-tech. Les éleveurs le justifient par un gain de temps qui permet d’échapper aux tâches les plus ingrates.
par Philippe Brochen, envoyé spécial à Rennes
publié le 18 septembre 2017 à 19h36

La ferme d'élevage du futur sera-t-elle confiée aux robots ? La réponse est clairement négative pour les défenseurs d'une agriculture traditionnelle, extensive, de plein air, bio ou non. Mais la question peut se poser pour les exploitations de modèle intensif, tant le développement de ces machines ultrasophistiquées, nouveaux assistants du paysan, n'a jamais été aussi important. Témoins les innovations présentées lors du dernier Salon international des productions animales (Space) à Rennes, le deuxième au niveau européen, qui a réuni 114 000 visiteurs pendant quatre jours la semaine dernière. «Les robots ne prendront pas, demain ou après-demain, la place des agriculteurs, prédit le président du pôle prospective du Space, André Sergent. Mais ils vont transformer les métiers et les rendre plus attractifs.» De fait, passés les stades de mécanisation et d'automatisation qui ont marqué les exploitations ces dernières décennies, l'éleveur robotisé devra, en plus de ses compétences d'agronome, acquérir de nouveaux savoirs technologiques.

Mais pour certains, à l’heure où la notion de bien-être animal est de plus en plus prégnante dans la société, cette automatisation marque une rupture dommageable dans la relation de l’éleveur avec l’animal. Les défenseurs de la robotique agricole estiment, eux, que la pénibilité évitée dans des tâches répétitiveset chronophages grâce aux machines, astreinte comprise, leur permet de se consacrer davantage et mieux à leurs bêtes. Notamment en analysant et exploitant les données fournies par ces assistants connectés. Exemple, le robot pourra détecter une infection sur une vache qui bénéficiera alors de soins plus rapides. Tour d’horizon des dernières innovations.

Des ramasse-crottes pour les cochons

Marc Touchais, 52 ans, en est persuadé : «Dans quelques années, cela va devenir la norme.» L'objet de son enthousiasme est le Procleaner X100. Un robot de lavage danois qu'il utilise depuis février dans l'élevage de 500 truies, 2 250 places de post-sevrage et 4 700 places d'engraissement sis à Châteaubourg (Ille-et-Vilaine) que Marc Touchais a créé avec sa femme en 1992. Dans cette activité, le lavage des porcheries représente en moyenne deux heures par truie chaque année. Soit près de 11 % du temps de travail dans les bâtiments.

Chronophage, cette tâche indispensable et primordiale est également très ingrate. «Mais si on veut avoir des animaux en bonne santé, il faut qu'ils évoluent dans un milieu sain», avance Marc Touchais. Qui précise : «Le robot ne travaille pas mieux que l'être humain, mais on a de plus en plus de mal à trouver des bras.» Comprendre : cette pénible tâche de lavage des porcheries, qui représente chez lui une vingtaine d'heures par semaine, rencontre une pénurie de recrutement. «Dans le bassin rennais, le taux de chômage est inférieur à 4 %», précise l'éleveur, qui emploie cinq salariés. Autrement dit, ce travail les pieds dans les déjections des cochons ne génère guère de vocations.

Dans l’élevage de Marc Touchais, le robot d’un coût de 33 000 euros qui lui avait été présenté en fin d’année passée, réalise, avec les deux bras dont il est doté, les trois quarts du lavage d’une salle. Le jour ou la nuit, en fonction des paramétrages dont il a fait l’objet. Heure de démarrage, vitesse de rotation des buses de lavage, angle de lavage… tout est modulable. L’humain doit juste terminer le travail dans les angles, les couloirs et les plafonds.

Après six mois d'utilisation, l'éleveur déborde d'enthousiasme pour son auxiliaire métallique : «Il est facile d'utilisation et très efficace grâce à ses capteurs qui détectent les obstacles dans les salles. De plus, sa programmation est relativement simple et rapide. En moins de dix minutes, il est prêt à travailler.»

Le temps gagné grâce à son robot, Marc Touchais l'utilise pour «un meilleur suivi des animaux». L'agriculteur pense faire des émules : «Ça prend bien auprès des collègues.» Pour l'heure, quatre autres éleveurs bretons se sont équipés de ce robot de lavage depuis le début de l'année.

Des poules sous surveillance Agriculture

Empêcher les poules de pondre dans la paille. Tel est le travail de Spoutnic, robot d'assistance aux aviculteurs qui se promène entre les volailles. Grâce à ses yeux clignotants, l'appareil doté de quatre roues et de capteurs pour le guider dans le poulailler fait bouger les poules qui nichent trop longtemps sur la litière, signe qu'elles vont y déposer leur production. Problème : les œufs pondus au sol peuvent soit se casser s'ils sont piétinés par les gallinacés, soit être déclassés «car ils sont potentiellement contaminés sur le plan bactériologique», explique la conseillère avicole à la chambre régionale d'agriculture de Bretagne Marion Ruch. Avec l'intervention du robot, l'objectif est d'inciter les poules à aller déposer leurs œufs dans les pondoirs qui leur sont dédiés. «Sans Spoutnic, les aviculteurs doivent passer toutes les demi-heures lors des pics de ponte pour ramasser les œufs au sol. Ce qui est très fastidieux.»

C'est grâce à l'ingéniosité d'un couple d'aviculteurs de Mayenne, Laëtitia et Benoît Savary, que le robot a pu voir le jour. «Nous nous sommes rapprochés de la société Cimtech, bureau d'études spécialisé en mécatronique», soit la combinaison synergique et systémique de la mécanique, de l'électronique, de l'automatique et de l'informatique en temps réel. En septembre 2016, Spoutnic est présenté aux professionnels lors du Space, avant d'être commercialisé en 2017.

Octopus a, lui, été développé par une start-up de Cholet (Maine-et-Loire). Disponible depuis le début de l'année, ce robot autonome et modulable est pourvu d'un scarificateur qui aère la litière dans les bâtiments d'élevage avicoles. «La problématique de la litière, détaille Marion Ruch, est qu'elle s'humidifie si on ne la retourne pas régulièrement. Et dans ce cas, cela devient rapidement inconfortable pour la volaille.» Octopus est également doté d'un système de vidéosurveillance et d'un système d'alerte.

Une autre innovation s'avère fort utile pour lutter contre la pénibilité des aviculteurs : un robot suiveur. Développé par la société Maviho Solutions, de Sarzeau (Morbihan), l'appareil, déjà utilisé en cultures légumières, peut porter jusqu'à 250 kilos de charge. Le producteur de poulets à Andel (Côtes-d'Armor) Thomas Couëpel, s'est doté d'un poulailler de 3 000 m2. Avec le robot suiveur dans ses pas, l'éleveur peut ainsi sillonner son bâtiment sans porter son matériel ou encore les poulets morts qu'il doit extraire du poulailler.

Des vaches laitières connectées

Dans les élevages laitiers, la nouveauté réside dans l’automatisation de la distribution des fourrages. Actuellement, une douzaine de fabricants proposent ces solutions qui permettent de gagner en efficacité, en temps - l’alimentation est le second poste en temps passé dans les élevages laitiers - et en diminution de tâches pénibles.

Parmi ces machines suspendues sur des rails ou circulant au sol, Innovado, commercialisé par la société néerlandaise Schuitemaker, est un robot de distribution de fourrage avec désilage. «Après avoir été programmé, il est capable de décider seul d'aller chercher l'aliment dans le silo, précise la chargée d'études sur les herbivores à la chambre d'agriculture de Bretagne, Estelle Cloët. Puis il va distribuer la quantité de nourriture et le nombre de distributions décidées par l'éleveur pour la journée.» Si les robots de traite ne datent pas d'aujourd'hui (le premier a été présenté au Space de 1997), ils coûtent désormais moins chers et sont plus performants, forts de leur condensé de technologie.

Ainsi, l'éleveur reçoit quantité d'informations sur ses bêtes : heure à laquelle telle vache est venue au robot, quelle quantité et qualité de lait a-t-elle donné, quel est son état de santé… Ces robots, véritables centres de collecte de données, assurent une traite de précision «communicante» collant au plus près des caractéristiques de chaque animal et des desiderata de l'éleveur. «Le système est également lié à un logiciel de gestion du troupeau qui fournit des informations liées à la reproduction», atteste Estelle Cloët. L'autre particularité de certains robots de traite dernier cri est qu'ils fournissent l'alimentation aux bovins. Sept éleveurs sur dix qui acquièrent un nouvel équipement pour leurs vaches laitières font le choix d'un robot plutôt que d'une salle de traite classique.

D'après la technicienne, le nombre de ces robots de traite a été multiplié par deux en France entre 2010 et 2016. Selon l'Institut de l'élevage, 4 800 exploitations laitières en étaient équipées l'an passé. «L'avantage du robot est qu'il est opérationnel vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et peut donner l'alarme à l'éleveur en cas de problème avec une vache.»

Cela peut sembler être un paradoxe : certains agriculteurs qui possédaient un robot repassent en traite classique «car la charge mentale est parfois dure à vivre par rapport aux imprévus, tel un robot bloqué en pleine nuit qui sonne».

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