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Lavaux Unesco, dix ans de paysage en bouteilles

Les petits trains touristiques sont une des activités très prisées par les touristes de passage.

A écouter Bernard Bovy tirer le bilan des dix ans de l'inscription de Lavaux au Patrimoine mondial de l'humanité, on croit entendre Ramuz et son «Le bon Dieu a fait la pente, mais nous on a fait qu'elle serve, on a fait qu'elle tienne, on a fait qu'elle dure» (Passage du poète). Car si l'Unesco a consacré Lavaux, c'est bien les hommes qui ont dû faire quelque chose de cette consécration. «Il a fallu un peu de temps pour se mettre en route, il n'y avait pas de recette, tout était à inventer! Mais avec les moyens qu'il avait, le gestionnaire du site a fait du bon boulot.»

Le regard de Bernard Bovy a cela de pertinent qu'il est intérieur et extérieur. Vigneron à Chexbres, où il a encore un pied dans le domaine qu'il a remis à ses fils, ancien syndic du village, il était à Christchurch (Nouvelle-Zélande) le 28 juin 2007. En tant que président de l'Association pour l'inscription de Lavaux à l'Unesco (AILU), il a été le témoin historique du jour où le vignoble en terrasses cher à Ramuz devenait universel.

Une universalité qui a fait rêver certains vignerons, qui y voyaient déjà une géante poire pour la soif. Puis vinrent les frustrations: le logo de l'Unesco, interdit d'utilisation commerciale, ne pourrait pas figurer sur les étiquettes, et le boom des visiteurs allait vite se stabiliser. «On a réalisé il y a deux ou trois ans qu'on est un site touristique international, admet Blaise Duboux, président de la Commission des vignerons et des vins de Lavaux (CVVL). Ça a été crescendo depuis 2007, mais ça a explosé ces dernières années.»

«Ils sont où vos touristes?»

«Ça», c'est l'engouement pour la région. «En dix ans, les nuitées n'ont cessé d'augmenter pour atteindre un record de 700 000 en 2016, illustre Grégoire Chappuis, vice-directeur de Montreux-Vevey Tourisme. Et entre janvier et juin 2017, on atteint déjà 7,5% de plus, tout cela sans brader!» Si les chiffres concernent toute la région de Lavaux à Montreux, c'est indéniable: la destination «Lavaux Unesco» draine les touristes, notamment via la presse internationale. Avec le risque d'un tourisme de masse? «On en est loin! estime Bernard Bovy, dont la cave est une des rares de la région à recevoir des cars. En 2006, quand l'expert de l'Unesco est venu visiter le site, il s'est arrêté au milieu du village de Saint-Saphorin et nous a dit: «Ils sont où vos touristes?» On partait de rien.»

Aujourd'hui, ils sont là. «En 2016, les deux petits trains des vignes nous ont dit: «Stop, arrêtez de nous envoyer du monde, on est plein!» se souvient Grégoire Chappuis. On a dû freiner, eux s'adapter.» Autre expansion phénoménale, les guides du patrimoine ont plus que décuplé. Quatre à leur lancement en 2011, ils sont aujourd'hui 50 à arpenter le vignoble avec des groupes francophones (40%), germanophones (30%), anglophones (25%) mais aussi russes ou japonais… Il faut installer des panneaux multilingues qui expliquent aux Asiatiques qu'arracher des grappes, ça ne se fait pas. Adapter la signalétique aux nouveaux arrivants, qui depuis deux ans viennent même du Moyen-Orient, a priori peu porté sur la bouteille.

«Il y a plus de gens qui passent sans vraiment s'arrêter que de gens qui achètent, témoigne Blaise Duboux. Ils viennent consommer un paysage, pas du vin. A nous, vignerons, d'être créatifs! On doit se remettre en question, réussir à mettre ce paysage dans nos bouteilles, dans la qualité de nos vins.» En gros, apprendre l'accueil et la valeur ajoutée. Car l'inscription a déclenché un nouvel intérêt pour les vins de Lavaux – et par-là même pour les vins suisses – jusque dans les clubs de dégustation étrangers, rapporte Blaise Duboux. «Et ces gens sont avides d'explications, veulent visiter les vignes, qu'on leur parle des terroirs…» Ce fameux tourisme basé sur l'«expérience humaine», baptisé œnotourisme, découle indéniablement de l'inscription à l'Unesco, selon Bernard Bovy. Le premier Prix suisse d'œnotourisme était d'ailleurs remis vendredi à Lavaux. Blaise Duboux abonde: «Elle a permis de créer une unité du vignoble, de réunir les acteurs pour discuter de ce qu'on allait faire de cette inscription, qui nous demande de protéger, valoriser et transmettre. Avant cela, il y avait eu des associations de vignerons, mais ça s'était perdu. Là, on a réuni tous les acteurs de la viticulture, sans clivage.»

Rendre à Weber…

Un autre élément qui avait fédéré les vignerons, c'est la troisième initiative Weber, déposée en 2009 et refusée en 2014. On se souvient de leur avance groupée pour combattre «l'initiative de trop». «On voulait nous prendre nos prérogatives d'acteurs du vignoble, nous protéger! s'emporte Blaise Duboux. Cela a déclenché une vraie envie d'être les promoteurs dynamiques de notre savoir-faire millénaire.» Mais si la troisième était de trop, le vigneron d'Epesses, comme de plus en plus de ses confrères, admet que «Sauver Lavaux» I et II ont fait prendre conscience d'une réalité: Lavaux est vraiment un lieu particulier qu'on doit protéger».

Si le vigneron ne l'avait pas fait, Suzanne Debluë, secrétaire de l'Association Sauver Lavaux, se serait chargée de rendre à César ce qui appartient à César. «Franz Weber a fait ressortir la problématique des bureaux de l'Etat et des conclaves des communes pour la mettre sur la place publique», rappelle-t-elle. C'était trente ans avant l'inscription au Patrimoine mondial. Pour l'habitante de Lutry, «l'Unesco, qui ne pose aucune contrainte légale, fait croire aux gens que Lavaux est protégé, mais c'est faux! C'est seulement de la publicité pour la région.»

Selon elle, cela n'a fait qu'accroître la pression immobilière là où les autorités ne sont pas prêtes à restreindre le droit à bâtir, et où la transformation d'anciennes maisons vigneronnes en appartements luxueux fleure bon la gentryfication. Directeur de DHR Gérance Immobilière SA, Daniel Rey l'admet: les zones à bâtir qui restent seront sans doute construites et la location de leur bien reste une porte de sortie pour les vignerons. Mais il dément aussi: la pression immobilière à Lavaux n'a pas attendu 2007 et a suivi l'évolution du marché sur l'arc lémanique. «L'inscription a plutôt mis une chape de plomb supplémentaire», témoigne-t-il.

Et si les multinationales ont fourni quelques belles années aux promoteurs, ce serait fini depuis deux ans. «Tout ce qui s'est construit sur des bases spéculatives ne se vend plus», observe-t-il. Aussi, un bilan est difficile à tirer sur dix ans, les cycles de l'immobilier demandant davantage de recul. «En revanche, pour le vin et le tourisme, c'est indéniable, il y a un plus!» conclut Daniel Rey, qui a racheté par passion il y a quelques années les caves du Petit Versailles et de Glérolles.

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Cérémonie officielle des 10 ans Sa 18 h 30, place d'Armes, Cully, dans le cadre de Lavaux Passion. Fresque à la bougie annulée pour cause de pluie. www.lavauxpassion.ch