« Yes, we can ! », était le titre d’un des derniers articles du chimiste Gérard Férey, disparu le 19 août, à Paris à l’âge de 76 ans. Cette injonction, typique de son habituel enthousiasme, était parue dans une tribune de l’European Journal of Inorganic Chemistry le 27 septembre 2016. Le chercheur enjoignait à ses collègues de ne pas seulement œuvrer pour augmenter la connaissance mais aussi pour que leurs belles molécules trouvent des applications.
Il était bien placé pour donner cette leçon puisqu’il a été l’un des pionniers, au début des années 2000, du développement d’une nouvelle famille de composés, qui l’ont rendu mondialement célèbre : les solides poreux. Ces molécules « cages » ou à « trous » ont la capacité d’absorber les gaz sans augmenter leur volume. D’où des applications dans des réservoirs de voiture à gaz naturel, ou pour le stockage du CO2, un important gaz à effet de serre, ou encore la purification de flux gazeux…
Dans un tout autre domaine, ces matériaux pourraient servir de vecteur pour des médicaments, en relarguant lentement leur contenu, évitant ainsi la multiplication des injections. Gérard Férey avait d’ailleurs fait des essais avec un anticancéreux et déposé plus d’une dizaine de brevets sur ces molécules.
« Il était considéré comme nobélisable »
« Gérard Férey, magicien de la cristallographie, avait une vision de ces molécules, prévoyant leur conception avant de les réaliser », témoigne Guillaume Maurin, enseignant-chercheur à l’université de Montpellier. « C’était une grande figure de la science française », souligne Jean-Pierre Sauvage, Prix Nobel de chimie en 2016. « Il était reconnu comme un des pères de ces découvertes, et était considéré comme nobélisable », poursuit Christian Serre, un de ses collaborateurs à l’université de Versailles et aujourd’hui à l’Institut des matériaux poreux de Paris.
Prometteuses, ces molécules restent néanmoins toujours en développement, même si des entreprises comme BASF, avec laquelle Gérard Férey a collaboré, en produisent déjà à la tonne. D’où l’injonction et la conviction que des travaux académiques cherchant à tenir compte aussi des contraintes de l’industrie sont souhaitables. Cet engagement est conforme à l’idée que se faisait ce chimiste de sa discipline. « Pour le public, les produits chimiques sont souvent assimilables à des poisons, alors même qu’une bonne part de la richesse de nos sociétés vient de la chimie ! », regrettait ce chercheur dans Le Monde du 11 septembre 2010, au moment de l’annonce de sa médaille d’or du CNRS.
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