Retrouver Proust, Marcel, en pleine campagne roumaine. Laurent Pfeffer, 37 ans, a ouvert une bouteille de l’élégant vin blanc qu’il élabore en assemblant sauvignon et feteasca regala, un cépage local. Le soleil de fin d’après-midi fait scintiller un lointain village au pied des collines couvertes de forêt. A travers les gouttes de fraîcheur qui glissent sur l’étiquette, quelques lignes évoquent les amours de Swann et d’Odette : « Il était si timide avec elle, qu’ayant fini par la posséder ce soir-là, en commençant par arranger ses cattleyas… » Et l’extrait raconte comment, au prétexte de redresser les orchidées à son corsage, le dandy fait comprendre à la cocotte qu’il aimerait se livrer à des plaisirs plus charnels.
Laurent a baptisé son domaine Catleya, la cuvée que l’on sirote s’appelle Freamat qui, en roumain, dit le bruissement du vent dans les feuilles, mais aussi le frisson du plaisir. Plus tard, sous le ciel étoilé, il fait déguster la première édition d’un rouge nommé Epopée. Son étiquette noir et cuivre reprend le tracé de l’Orient-Express, qui faisait escale tout près, sur la route de Constantinople. Le grand jeune homme est un poète. Ce qui doit être un atout pour s’installer en Roumanie et y cultiver la terre. En Europe peut-être, mais dans un autre monde.
Cela fait tout juste dix ans que Laurent a posé ses valises à Corcova, petit village du sud-ouest du pays. Il est arrivé à 27 ans, l’année où la Roumanie entrait dans l’Union européenne. Après ses études d’ingénieur viticole et d’œnologue à Bordeaux, il rêvait de construire le domaine qu’il ne pourrait jamais s’offrir en France. Frédéric Vauthier, propriétaire du Château Lucas, à Lussac-Saint-Émilion, était prêt à investir.
15 millions d’hectares de terres cultivables
Depuis plusieurs années, la Roumanie passe pour l’eldorado des agriculteurs européens. Avec 15 millions d’hectares de terres cultivables, elle est le cinquième pays de l’Union en termes de superficie agricole. Après la « révolution » de 1989, d’anciens apparatchiks ont sauté sur les fermes d’Etat démantelées pour se tailler d’immenses domaines. A partir des années 2000, les perspectives d’adhésion du pays à l’Union européenne s’accompagnaient de fonds spéciaux. Néerlandais, Danois, Allemands, Italiens, Français ou Espagnols sont partis à la conquête de l’Est pour y trouver la place qu’il n’y a plus dans l’Ouest et des terres trois à quatre fois moins chères qu’en France, et jusqu’à dix fois moins qu’aux Pays-Bas ou au Danemark.
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