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Momifiés dans un glacier, ils ont été incinérés 75 ans après leur disparition

Monique et Marceline Dumoulin ont assisté samedi aux obsèques leurs parents, disparu en montagne le 15 août 1942 et retrouvés momifiés dans un glacier le 13 juillet dernier.

Axel Roux , Mis à jour le
Les cercueils de Francine et Marcelin, retrouvés momifiés dans un glacier.
Les cercueils de Francine et Marcelin, retrouvés momifiés dans un glacier. © Dominic Steinmann/AP/Sipa

Longtemps, elle a compté les jours, 27.344 selon ses calculs. Chaque soir depuis la fenêtre de sa cuisine, Monique Gautschy-Dumoulin a regardé en direction du glacier de Tsanfleuron. C'est là-haut, sur le versant valaisan du massif des Diablerets, dans le sud de la Suisse, que ses parents, Francine et Marcelin Dumoulin, ont disparu le 15 août 1942. Monique avait 11 ans. Sa sœur cadette, Marceline, 4. Elles sont les seules survivantes d'une fratrie de sept enfants. "Heureuses", elles ont choisi de s'habiller de blanc pour assister, samedi matin, aux obsèques de leurs parents retrouvés momifiés dans la glace le 13 juillet.

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Au pied des montagnes, dans sa maison de Conthey, l'aînée se souvient de cette terrible journée, un samedi. "Avant de s'en aller avec maman, papa m'a prise dans ses bras, j'étais sa préférée, glisse-t-elle dans un sourire. Ils sont partis à pied en se tenant la main." Francine, 37 ans alors, est institutrice et fille d'une Brésilienne venue émigrer en Suisse. Marcelin, 40 ans, est cordonnier et sa voix de ténor est appréciée dans le pays. L'été, il s'occupe de son troupeau qui paît dans les alpages. Le couple habite au village de Chandolin avec ses enfants, cinq garçons et deux filles âgées de 4 à 13 ans. "C'était la première fois que maman pouvait l'accompagner dans la montagne, explique Marceline, aujourd'hui âgée de 79 ans, qui habite toujours le bourg de ses parents. Auparavant, elle avait toujours été enceinte…"

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Tombés dans une crevasse

Ils sont partis le matin "avec un ciel bleu", se rappelle Monique, et devaient rentrer le lendemain dans la soirée au plus tard. Les yeux embués, elle voit encore ce "gros nuage noir" envelopper le glacier l'après-midi. La voix rompue par le chagrin, elle raconte : "Mon oncle a eu le temps de les apercevoir à la jumelle. Le dimanche, j'ai attendu jusqu'à minuit mais ils ne sont jamais revenus." Les corps des disparus ont été retrouvés à 2.615 m d'altitude, près d'un chemin pédestre reliant les cantons de Berne et du Valais. "Une tête dépassait de la glace, tous les deux étaient très bien conservés", indique ­Bernhard ­Tschannen, le directeur du ­domaine skiable où a été faite la découverte. Il ajoute : "A leurs côtés, nous avons retrouvé un sac à dos, une bouteille de vin, un livre ou encore une montre." Selon lui, le couple est très certainement tombé dans une crevasse, puis a été conservé pratiquement intact dans la glace. "A l'époque, le glacier ne diminuait pas à la même vitesse, assure-t-il également. Son recul a permis de mettre fin à une tragédie."

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De remplir le vide, aussi. Placés dans des familles d'accueil après le drame, à l'exception de Marceline qui a pu être adoptée par une tante, les enfants Dumoulin ont vécu séparés les uns des autres jusqu'à l'âge adulte. Une seconde blessure, "vécue dans la douleur", confient encore aujourd'hui les deux sœurs. Ce n'est que quinze ans après que la fratrie se retrouve, à l'occasion de l'ordination d'un des leurs, Eugène, à l'église paroissiale de Saint-Germain. Celle-là même où a officié samedi l'abbé Jean Varone, prêtre et ami de la famille. Une fois ordonné, Eugène dira sa première messe sur le glacier de Tsanfleuron, sous le regard de ses frères et sœurs réunis. "Cet événement a permis de les ressouder", atteste l'abbé Jean Varone.

Sans parvenir toutefois à leur offrir le répit. Parti avec Eugène à Madagascar comme missionnaire, le père Varone se souvient de ce dernier "retournant sur le massif sur ses congés pour rechercher ses parents". Un autre frère décédé aujourd'hui, Candide, a lui été jusqu'à acheter une motoneige au Canada pour faciliter les fouilles sur le glacier. Malgré le temps qui passe, les enfants ont "toujours eu espoir de les revoir", explique Monique. "On a toujours eu besoin de croire qu'ils finiraient par redescendre."

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"Des reliques pour la famille"

Dans le village et ses alentours, la plupart des riverains ont grandi avec le souvenir des disparus. Samedi, plusieurs centaines étaient là pour assister aux retrouvailles des Dumoulin. "C'est une joie profonde et une très grande émotion", souffle Joseph, un voisin de ­Chandolin, depuis le banc de l'église paroissiale. Paul, 15 ans, est l'un des nombreux arrière-petits-fils de Francine et Marcelin à être présents. Hors les murs, sous la volée du glas, il lâche : "On a enfin toutes les réponses. Plus tard, ce sera à nous de transmettre l'histoire."

C'est dans cette optique que Marceline s'est rendue sur le glacier jeudi en hélicoptère avec son fils, Samuel. Elle en a rapporté des fragments encore indemnes de ses parents restés dans la glace. "Des reliques pour la famille", comme elle se plaît à dire. Sur un carré de tissu blanc, elle les a installées sur la grande table du salon, près du portrait des parents. A la manière d'une enfant, elle énumère : "Un morceau de tresse à maman, des cheveux à papa, une étoffe de velours…" Soudain, ses yeux se ferment. Et c'est comme si soixante-quinze années s'étaient écoulées en une seconde.

Envoyé spécial à Savièse, en Suisse

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