Menu
Libération
Bonne nouvelle

L'Ontario expérimente le revenu de base

Dans la province canadienne, qui a souffert de désindustrialisation, 4 000 habitants tirés au sort toucheront plus de 11 000 euros par personne.
par Aude Massiot
publié le 25 avril 2017 à 19h27

Benoît Hamon en rêvait en grand, l'Ontario l'a fait en petit. Kathleen Wynne, la Première ministre de cette province du centre du Canada qui compte Ottawa et Toronto en son sein, a annoncé, lundi, le lancement d'un projet pilote de revenu de base. «Tout le monde devrait profiter de la croissance économique de l'Ontario, a lancé la représentante libérale. Un revenu de base aidera les habitants de notre province à atteindre un meilleur niveau de vie. Il leur permettra d'avoir l'esprit tranquille en sachant qu'ils peuvent assumer leurs besoins de base et qu'ils ont la possibilité de gagner plus en travaillant.» La ministre a annoncé préparer en parallèle un projet similaire mais destiné aux communautés autochtones, particulièrement précaires.

Que prévoit ce projet test ?

La province n’a pas osé se lancer à corps perdu dans cette mesure ambitieuse. L’initiative lancée lundi est, pour l’instant, limitée à un échantillon de 4 000 personnes, et à une période de trois ans. Le gouvernement provincial veut tester le projet avant de l’implanter sur tout le territoire ontarien, voire canadien. Seules trois municipalités sont donc concernées pour l’instant: Hamilton et Lindsay (à partir de juin) et Thunder Bay (à l’automne). Agés entre 18 et 65 ans, les heureux élus seront choisis au tirage au sort. Ils pourront alors se voir verser, s’ils sont d’accord, jusqu’à 16 989 dollars canadiens (11 419 euros) par an par personne et 24 027 dollars canadiens (16 154 euros) pour un couple. Les personnes handicapées verront cette aide majorée de 6 000 dollars canadiens (4 033 euros) par an. Tout autre revenu supplémentaire diminuerait cette allocation de base à hauteur de la moitié de ce gain. Exemple: une personne qui gagnerait 10 000 dollars canadiens par an toucherait alors un revenu de base diminué de 11 989 dollars canadiens (16 989-5000). La Première ministre ontarienne s’est engagée à ce qu’aucun participant à cette expérimentation ne voit sa situation financière se dégrader. L’objectif affiché par le gouvernement est d’aider les travailleurs pauvres à sortir de la précarité et d’améliorer l’état de santé général de la population. Il s’agit aussi de simplifier la gestion des allocations par l’administration. Ainsi ce revenu de base remplacerait le programme Ontario au travail et le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, avec une légère augmentation des indemnités.

A lire aussi: Tout non-travail mérite salaire

Quels résultats sont attendus?

«Les adultes en âge de travailler qui vivent dans la pauvreté ont très peu bénéficié des innovations actuelles pour la réduction de la pauvreté. Les compléments au revenu qui existent aujourd'hui pour ceux qui vivent dans la précarité ne sont pas efficaces», a tranché l'ancien sénateur Hugh Segal, dans son rapport rendu au gouvernement de l'Ontario sur le projet pilote de revenu de base.

La province a un taux de pauvreté supérieure à la moyenne nationale. En 2011, 8,8% de la population canadienne vivait sous le seuil de pauvreté, pour 12,6% en Ontario (2010). «C'est un vrai problème en Ontario. Beaucoup d'usines ont fermé récemment. Toronto est la ville avec le plus fort taux de pauvreté dans le pays», explique Sheila Regehr, présidente du Réseau canadien pour le revenu de base. La situation s'améliore depuis quelques années. La province a gagné 36 400 emplois au premier trimestre, à comparer aux 76 400 créés sur toute l'année 2016. En mars, le taux de chômage était de 6,4%, soit moins que la moyenne nationale (6,7%).

«Avec ce revenu de base, le gouvernement ontarien veut compenser la précarisation croissante du marché du travail et permettre aux habitants d'avoir un revenu minimum assuré», continue Sheila Regehr. Tel que prévu dans son budget 2016, la province mettra 50 millions de dollars canadiens (33,5 millions d'euros) par an sur la table pour financer ce projet. Hugh Segal justifie un tel investissement par les bienfaits sociaux et économiques qui en ressortiront. «La pauvreté nous coûte à tous, et elle coûte à la société beaucoup d'argent», assure-t-il. Il s'appuie sur un rapport de l'Association des banques alimentaires de l'Ontario rendu en 2008 selon lequel le gouvernement ontarien perdait entre 10 et 13 milliards de dollars canadiens par an, de par le coût sociétal de la pauvreté.

Pourquoi le Canada est-il considéré comme pionnier?

«Le Canada est un des premiers pays à avoir expérimenté le revenu de base dans les années 70», détaille Nicole Teke, représentante du Mouvement français pour un revenu de base. Dans le Manitoba, de 1974 à 1979, la totalité des 8 000 habitants de la commune de Dauphin se sont vus offrir un revenu fixe sous forme de crédits d'impôts remboursables allant jusqu'à 60% du seuil de pauvreté. «Cela a donné de très bons résultats, poursuit Nicole Teke. Le chômage n'a pas augmenté, au contraire. Il y a eu une amélioration du niveau de vie et de l'état de santé, surtout mentale, de la population.»

Cette nouvelle expérimentation en Ontario pourrait inspirer des provinces voisines, notamment le Québec. D'autres projets pilotes ont été lancés récemment dans le monde. Depuis le 1er janvier, 2 000 demandeurs d'emploi finlandais, âgés entre 25 et 58 ans, reçoivent 560 euros par mois pendant deux ans. Aux Pays-Bas, plusieurs villes, dont Utrecht, ont aussi lancé, le 1er janvier, le versement d'un revenu universel de 900 euros par mois par personne seule, et de 1 300 euros par famille. Au Kenya, l'organisation caritative GiveDirectly, s'apprête à lancer l'expérimentation de revenu de base le plus étendu jamais mis en place. 26 000 résidents de 200 villages devraient recevoir 0,75 dollar par jour pendant douze ans (environ 22,5 dollars par mois). Cela équivaut à la moitié du salaire moyen dans le pays. Il manque encore à GiveDirectly 6 millions de dollars sur les 30 millions nécessaires pour financer le projet.

A lire aussi: Vivre avec un revenu de précarité active

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique