Les étudiants en économie rencontrent le nom de Kenneth Arrow tout au long de leurs études. Ce n’est que justice d’affirmer qu’une grande partie du socle de la théorie économique contemporaine repose sur les fulgurances d’un intellect devenu légendaire. Kenneth Arrow, qui est mort le 21 février, à Palo Alto, en Californie, à l’âge de 95 ans, était un scientifique modeste, ouvert, soucieux du bien public.
Né le 23 août 1921 à New York dans une famille originaire de Roumanie, il fut le plus jeune économiste à obtenir le prix Nobel en 1972. Ken Arrow s’est imposé comme le théoricien le plus fécond de sa génération, formant, au sens propre comme au figuré, le cœur d’une véritable famille d’économistes. Cinq de ses anciens étudiants ont reçu le prix Nobel d’économie, dont Joseph Stiglitz. Paul Samuelson, principal artisan du triomphe de la synthèse néo-classique dans les années 1970, était le beau-frère d’Anita, sœur d’Arrow, elle-même économiste, épouse d’économiste (Robert Summers) et mère de Lawrence Summers – secrétaire au Trésor (ministre des finances) du président Clinton (1999-2001) et premier conseiller économique du président Obama (2009-2010). Arrow fut lui-même conseiller économique du président Kennedy (1962).
Le théorème d’Arrow
Son doctorat obtenu à l’université de Columbia (publié en 1951 sous le titre Social Choice and Individual Values) l’a rendu mondialement célèbre, avec le fameux « théorème d’Arrow » qui dépasse de loin la seule discipline économique et intéresse, de fait, toutes les sciences sociales. Ce théorème a donné lieu à un champ disciplinaire à lui tout seul, représenté par la Society for Social Choice and Welfare, dont Arrow fut le premier président.
Dans une démocratie capitaliste, deux méthodes sont employées pour opérer un choix collectif : le vote dans la sphère politique, et le mécanisme du marché dans la sphère économique. Supposons un groupe ayant à choisir entre plus de deux options (comme c’est le cas pour le premier tour de l’élection présidentielle française !). Le célèbre paradoxe de Condorcet illustre la possibilité d’un choix collectif incohérent découlant de l’application successive de la règle de la majorité au choix deux par deux : l’option A gagnera contre l’option B qui gagnera contre l’option C… qui gagnera contre l’option A. Arrow démontrera mathématiquement l’impossibilité d’autres règles – existantes ou à découvrir – qui pourraient éviter ce piège. Il énonce les propriétés désirables pour agréger les préférences individuelles, et montre qu’aucune règle ne peut les réunir toutes. Concrètement, une partie des incohérences des politiques publiques pourraient résulter de cette impossibilité.
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