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Le chemin de croix de Theresa May

Le Brexit, tel que le conçoit la Première ministre britannique, privilégie la souveraineté sur le risque économique. Elle fait le pari que d’autres partenaires remplaceront l’Europe. Mais qui ? Un Président américain imprévisible ?

Par Dominique Moïsi (géopolitologue, conseiller spécial de l’Institut Montaigne.)

Publié le 20 janv. 2017 à 17:57

Vous ne pouvez plus parler de “perfide Albion.” Theresa May a été parfaitement claire, Brexit signifie “exit”. Si vous cherchez une image pour décrire la Grande-Bretagne, utilisez plutôt celle du lion défiant. »

Je suis dans un club londonien, au lendemain du discours prononcé le 17 janvier par Theresa May à Lancaster House. Mon interlocuteur, qui a voté pour rester en Europe au référendum du 23 juin, a visiblement été positivement impressionné, comme la grande majorité des Anglais, par le discours de la Première ministre. Il le décortique pour moi, mettant l’accent sur trois points fondamentaux.

D’abord, le modèle européen est en crise. Il n’arrive pas à se réformer. Se retirer élégamment avant que le navire ne sombre définitivement, n’est-ce-pas faire preuve de réalisme ? D’ailleurs, il y a toujours eu un malentendu entre le Royaume-Uni et une Europe présentée comme un projet avant tout économique, alors qu’il était fondamentalement politique. Le Marché commun, pas plus que l’Eurostar, n’a fait des Britanniques des Européens. Ensuite, quitter l’Union est tellement plus simple que de négocier un compromis improbable avec les vingt-sept membres restants, surtout si l’on a en tête l’unité du Parti conservateur. Enfin, l’Angleterre n’aime pas être soumise à des pressions qui sonnent comme des menaces. Les Britanniques voient peut-être Theresa May comme une nouvelle Margaret Thatcher, mais dans son discours de Lancaster House elle évoque Churchill. La référence à 1940 demeure incontournable pour les Britanniques qui restent persuadés, de surcroît, qu’ils ont des alternatives à l’Europe.

Ce résumé de la position britannique a le mérite de la franchise. Il y a indiscutablement un élément de nostalgie impériale dans le comportement du Royaume-Uni, même si le Brexit a été un vote en faveur d’un passé largement imaginaire. Theresa May, essentiellement, sans doute pour des raisons de politique intérieure, a choisi de privilégier la souveraineté sur le risque économique. A sa manière – la Grande-Bretagne est une démocratie –, elle parlerait aux Britanniques presque comme Poutine parle aux Russes : « L’homme ne vit pas que de pain, la souveraineté ou la grandeur retrouvées valent bien quelques sacrifices ou quelques risques économiques. »

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Le problème est, bien sûr, de savoir si ce choix est bien réaliste pour la Grande-Bretagne, compte tenu du contexte international actuel. Peut-on se rêver comme la nouvelle Athènes de la nouvelle Rome, au moment où Donald Trump incarne cette dernière ? En dehors de leur défiance commune à l’égard de l’Europe, presque tout sépare les deux incarnations contemporaines des « Anglo-Saxons » d’hier. Trump est protectionniste, May est favorable à la liberté des échanges, Trump veut se rapprocher de Moscou, pas Theresa May. On pourrait ainsi multiplier les différences, sans oublier la plus évidente, le contraste absolu entre les deux personnalités. Il existait une réelle empathie entre Ronald Reagan et Margaret Thatcher, entre l’acteur chaleureux et positif et la femme qui se déterminait en fonction d’une vision stratégique et non de considérations tacticiennes. Il est difficile d’envisager une telle complicité entre l’imprévisible star de la télé-réalité et la femme austère au tempérament autoritaire.

Le pari pris par Theresa May n’est pas celui d’un Brexit dur, car il n’existait pas en réalité de Brexit doux. La décision prise par les Britanniques en juin 2016 était claire et irrévocable. Depuis cette semaine, la politique exprimée par la Première ministre du Royaume-Uni, l’est également. On peut bien sûr se demander ce qui se serait passé si le calendrier avait été autre, si les élections américaines avaient précédé le référendum britannique. Les Anglais auraient-ils pris le risque de dire non à l’Europe, sachant qui était le 45e président des Etats-Unis ? On ne réécrit pas l’histoire, mais un tel questionnement est révélateur des inquiétudes de tous ceux qui, en Grande-Bretagne, ont voté contre le Brexit et qui considèrent les propos de Theresa May comme autant de vœux pieux. Quand, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Winston Churchill appelait les Européens à l’unité, tout en ajoutant qu’« entre le grand large et l’Europe, la Grande-Bretagne choisirait toujours le grand large », l’Occident américain était le cœur du monde. Mais y a-t-il encore un « grand large » aujourd’hui, et les Etats-Unis prendront-ils longtemps au sérieux un Royaume-Uni qui fait cavalier seul ? Au moment où le président américain décrit l’Otan comme obsolète, est-il bien raisonnable pour la Grande-Bretagne de jouer la carte du « splendide isolement », pour reprendre la formule de lord Salisbury ? Et ce, en matière économique et financière tout autant que sur les plans politique et diplomatique.

La Grande-Bretagne de Theresa May, pour des raisons essentiellement identitaires, fait un triple pari, sur elle-même, sur les Etats-Unis et sur le monde. Londres peut-il compter sur le soutien du Commonwealth d’abord, et des grands acteurs économiques mondiaux pour « remplacer » l’Europe ? Donald Trump est-il l’équivalent américain de Boris Johnson en Grande-Bretagne, un homme fondamentalement rationnel, malheureusement incapable de contrôler ses propos ? La mondialisation – que Theresa May dénonce dans ses conséquences sociales – va-t-elle se poursuivre comme si de rien n’était, comme si la montée des populismes et des incertitudes géopolitiques, renforcés par l’élection de Donald Trump, n’était qu’un détail de l’histoire ?

En attendant, la clarification de la position britannique, intervenant trois jours avant l’intronisation de Donald Trump, ne peut signifier qu’une chose : la consolidation nécessaire des relations entre la France et l’Allemagne. Cela présuppose que les Français, contrairement aux Britanniques et aux Américains, disent non au populisme, et ce de la manière la plus claire.

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