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Islamophobie

Un restaurateur refuse de servir deux femmes voilées

Les victimes ont saisi le CCIF, la ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, a saisi la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, et le parquet a ouvert une enquête.
par Dounia Hadni
publié le 28 août 2016 à 19h47

Une vidéo filmée dans le restaurant gastronomique Le Cénacle à Tremblay-en-France, en Seine-Saint-Denis, où l'on aperçoit et entend celui qui se présente comme le responsable du restaurant (le gérant ou le chef?) refuser de servir deux femmes voilées parce que «musulmanes», a fait le tour de la Toile dimanche. C'est l'une d'entre elles qui a manifestement filmé la scène, en catimini.

«On ne veut pas être servies par des racistes monsieur», dit d'emblée une des deux femmes agressées verbalement. On comprend alors que la conversation au sein du restaurant avait déjà commencé. «Non t'embête pas, t'embête pas… D'accord, ils arrivent», dit l'autre cliente face à elle. Et le chef du restaurant de rétorquer : «Les racistes ne mettent pas des bombes et ne tuent pas gens. Les racistes comme moi». «D'accord, parce qu'on a mis des bombes monsieur ?» interroge la première. «Madame, les terroristes sont musulmans et tous les musulmans sont terroristes. Voilà, cette phrase-là veut tout dire. Analysez-la et voilà.» dit-il. «Je n'ai pas besoin d'analyser des bêtises», répond celle dont on distingue un bout de voile. «Je suis dans un pays laïque et j'ai le droit d'avoir une opinion […] Et des gens comme vous, je n'en veux pas chez moi. Point barre. Voilà, assène le restaurateur, ça a le mérite d'être clair». «Ça l'est. Pour être clair ça l'est monsieur» répond la jeune femme. Et l'autre femme, qui filmait, d'enchaîner «Mais il faut le préciser monsieur […] Nous on ne le savait pas. Si on avait su on ne serait pas venues monsieur». «Maintenant vous le savez alors partez, réplique ce dernier. Oui on va partir. Ne vous inquiétez pas». A la suite de quoi on entend une voix qui tremble, le brouhaha de clients derrière qui ne réagissent pas -du moins sur la vidéo de 2'25 minutes-, une sonnerie de téléphone, des bribes de conversation téléphonique à travers lesquelles on comprend que ces femmes ont contacté la police… «La police arrive, ne t'inquiète pas. Ils arrivent. Tu ne viens pas tout seul», des pleurs, un mot de consolation de la part de son amie «Je sais que c'est dur». L'ironie de la situation est qu'on entend de la musique arabe, en fond, tout au long de cette altercation…

Contacté par L'Express, le commissariat de police de Villepinte et Tremblay-en-France confirme «que des policiers sont bien intervenus» ce soir-là dans l'établissement. Marwan Muhammad, le directeur du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), a quant à lui confirmé que ces femmes ont saisi le CCIF tout en n'ayant pas encore décidé si elles allaient porter plainte ou non. Surtout, elles refusent de s'exprimer publiquement pour l'instant, nous dit-il.

La ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, a rapidement réagi en déclarant sur Twitter dans l’après-midi avoir saisi la Délégation ministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.

En outre, le parquet de Bobigny a indiqué à l'AFP en fin de journée l'ouverture d'une enquête pour «discrimination à caractère racial».

Quant au restaurant, il est resté injoignable -sa ligne étant soit occupée soit sur répondeur-. Sur Google, il apparaît même comme étant fermé définitivement :

Un journaliste du Parisien, qui s'est rendu sur place, a constaté que le restaurateur s'est expliqué avec des membres de la communauté musulmane du Tremblay. Il s'est excusé. Reconnaissant avoir dérapé à cause du contexte sur le burkini, et parce qu'un de ses amis était mort au Bataclan.

Le mystérieux circuit de cette vidéo

Depuis dimanche matin, la vidéo en question a circulé massivement sur les réseaux sociaux, #Cenacle (le nom du restaurant) est d'ailleurs très vite monté dans les trending topics de Twitter. C'est vraisemblablement le dimanche 28 août, vers 2h du matin (voir ci-dessous l'historique des modifications de ce post) que cette personne dénommée «Karima AbdelRahman Bint Mohammed» -dont on ne peut déterminer s'il s'agit d'un pseudonyme ou non- a posté en premier la vidéo sur sa page Facebook.

Celle-ci prétend dans la matinée du dimanche 28 août, après avoir remercié ceux qui ont partagé sa publication, que «Les sœurs qui ont subi cette humiliation sont des sœurs très proches, sous le choc nous ont informées immédiatement et j'ai décidé de relayer cet acte ignoble». A ce stade, on ne sait pas ce qui est sous-entendu ici par le «nous». Quoi qu'il en soit, c'est elle seule qui aurait décidé de «relayer» cette vidéo. Elle annonce dans la foulée que ces femmes «vont contacter le directeur du CCIF» -sur ses conseils ?-.

A noter que cette page est très peu alimentée, qu’elle ne recense pas d'«amis» et qu’on n’y voit aucun visage si ce n’est une femme intégralement voilée de noir et de dos, une petite fille en niqab et des hadiths (des propos attribués au prophète et à son entourage) en français et en arabe.

Sur la page Facebook du «Cénacle», le restaurant cumule les commentaires négatifs et scandalisés depuis ce dimanche matin. Et des événements commencent à l'heure qu'il est à fleurir sur le réseau: «BurkiniPARTY au Restaurant Le CENACLE», «Couscous gratuit pour tous»

Pour aller plus loin :

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