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Libération
Récit

Asli Erdogan, romancière emprisonnée en Turquie

Coup d'Etat en Turquiedossier
Auteur d'une œuvre hantée par la prison, elle a été arrêtée en tant que collaboratrice d'un journal d'opposition.
par Hala Kodmani
publié le 25 août 2016 à 19h47

Dans la prison pour femmes d’Istanbul, Barkirköy, où elle a été transférée il y a quelques jours, Asli Erdogan vit pour de vrai l’expérience de la détention qu’elle décrit dans

le Bâtiment de pierre

, son dernier roman traduit en français, paru en 2013 chez Actes Sud. Arrêtée dans la nuit du 17 août, celle qui est présentée par sa maison d’édition comme «

l’une des voix les plus importantes de la littérature turque contemporaine

», est accusée de «

propagande en faveur d’une organisation terroriste», «appartenance à une organisation terroriste»

et d'

«incitation au désordre»

. (Photo Actes Sud)

Raflée avec vingt journalistes d'opposition

C'est en tant que collaboratrice du quotidien Özgün Güden que la romancière de 49 ans a été raflée, en même temps que les vingt autres membres de la rédaction du journal d'opposition. Une centaine de médias ont été interdits et des centaines de journalistes arrêtés dans la campagne de répression lancée par les autorités turques depuis le putsch avorté du 15 juillet dernier.

Désespérée par la chasse aux sorcières en cours dans son pays, Asli Erdogan (aucun lien avec le Président turc) avait écrit sur son blog une «lettre grave et nécessaire» selon son intitulé. Dans ce texte, publié par le quotidien Cumhuriyet quelques jours après son arrestation, elle confiait son angoisse pour son pays mais aussi sa solitude d'intellectuelle traquée et dénigrée.

Engagée dans la défense des droits de l’homme et des femmes, l'écrivaine a soutenu ces dernières années la cause des Kurdes. Dénonçant les exactions dont ils sont victimes dans l’est de la Turquie, elle a été à l’initiative d’une marche des écrivains à la frontière turco-syrienne, lors du siège de Kobané par les forces de l’Etat islamique en 2014.

Pétitions

Plusieurs pétitions ont été lancées ces derniers jours par des intellectuels et des écrivains à travers le monde réclamant la libération d’Asli Erdogan. Connue pour son talent comme pour ses engagements, celle dont les romans sont traduits dans une dizaines de langues a reçu plusieurs récompenses hors de son pays. L’appel du Pen Club International, adressé au président Erdogan pour sa libération, rappelle qu’elle avait représenté son pays dans le «Comité des écrivains emprisonnés» de l’association littéraire mondiale entre 1998 et 2000.

La prison a en effet hanté Asli Erdogan bien avant qu'elle ne s'y trouve enfermée. Dans le Bâtiment de pierre, sa narratrice se souvient d'un édifice sans âge où des militants politiques, des intellectuels récalcitrants à la censure ou des gosses des rues sont pris au piège. Un lieu où la torture et l'humiliation sont ordinaires, presque naturelles. « La vérité dialogue avec les ombres. Aujourd'hui, je vais parler du bâtiment de pierre où le destin se cache dans un coin, où l'on observe à distance le revers des mots. Il a été construit bien avant ma naissance, il a cinq étages sans compter le sous-sol, et un escalier d'entrée», écrit-elle dans ce roman.

Cette œuvre qui pourrait paraître prémonitoire dénonçait déjà les maladies de la société turque. Elle est en fait inspirée de l’histoire des parents d’Asli Erdogan, détenus et torturés par les régimes turcs issus des putschs que le pays a connu dans les années 1980 et 1990.

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