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Analyse

Grève : le gouvernement n'en a pas fini avec les raffineries

Loi travail, la réforme qui fâchedossier
Malgré les concessions de samedi et les interventions des forces de l’ordre, le mouvement de blocage s’est poursuivi ce week-end. L’ouest de la France, zone la plus touchée, est menacée de pénurie tandis que les automobilistes se ruent sur les stations-service.
par Christophe Alix
publié le 22 mai 2016 à 18h23

De longues files d'attente devant les stations d'essence encore ouvertes, des syndicats (CGT et FO) qui poursuivent le mouvement malgré les concessions de l'exécutif sur la principale revendication des routiers et un gouvernement qui minimise le blocage persistant des raffineries sur le mode «pas de panique, la situation est sous contrôle». Alors que les forces de l'ordre ont débloqué les barrages qui empêchaient l'accès à plusieurs raffineries et dépôts, les craintes de pénurie se sont renforcées ce week-end sur fond de ruée vers les stations-service dans le Grand Ouest, principale zone touchée par les difficultés d'approvisionnement en carburant. En fin d'après-midi vendredi, les autorités avaient pourtant fait évacuer les accès de six des huit lieux de stockage de pétrole qui étaient bloqués depuis plusieurs jours par des salariés du secteur du transport, opposés à la loi travail. Ces derniers craignaient que son adoption aboutisse à une baisse de la rémunération de leurs heures supplémentaires.

Mais la raffinerie Total de Donges (Loire-Atlantique), dont les salariés ont voté pour une semaine vendredi à 55% l’arrêt des installations, est restée sans activité ce week-end. Cette mise à l’arrêt des raffineries représente le principal risque de pénurie pour les jours à venir, sachant qu’il faut environ trois jours pour arrêter les installations et autant, voire davantage, pour les relancer. Or, comme à Donges, les salariés de celles de Gonfreville-l’Orcher, près du Havre, et de Feyzin, près de Lyon, ont également voté vendredi l’arrêt des installations et entamé leur procédure d’arrêt tandis que Grandpuits (Seine-et-Marne) tourne au ralenti. Soit quatre raffineries affectées sur les huit que compte l’Hexagone. A moins de réquisitions qui ne permettront pas de débloquer l’approvisionnement avant plusieurs jours, les difficultés risquent donc de perdurer. Et les arrêtés pris par les préfectures afin de permettre aux camions-citernes de circuler exceptionnellement durant le week-end et de rationner l’essence à la pompe dans certains départements (20 à 30 litres pour les particuliers, 40 à 50 litres pour les poids lourds) n’y changeront rien tant que les raffineries resteront à l’arrêt.

«Stocks stratégiques»

Le gouvernement se veut pourtant rassurant. «Nous maîtrisons pleinement la situation, je pense qu'un certain nombre de raffineries ou de dépôts qui étaient bloqués sont débloqués ou vont l'être dans les heures ou dans les jours qui viennent», a affirmé le Premier ministre, Manuel Valls, depuis Tel Aviv, en marge d'une rencontre avec des start-up françaises implantées en Israël. «Nous sommes très déterminés à ce qu'il n'y ait aucune pénurie en France», a-t-il poursuivi, demandant «à chacun de ne pas être dans cette position alarmiste qui vise au fond à faire peur». Même tonalité de la part du secrétaire d'Etat aux Transports, Alain Vidalies. Selon ses estimations, sur les 11 356 stations d'essence que compte le pays, «il y en a à peine 1 500 qui sont impactées en totalité ou en partie, ça fait moins de 20%, certes concentrées dans certaines régions», comme il l'a expliqué sur RTL. Et dans les agglomérations les plus impactées comme Saint-Brieuc, Brest, Rennes ou Nantes, il y a encore «60% des stations qui fonctionnent», a-t-il affirmé. En outre, en cas d'aggravation de la situation, le gouvernement dispose, a-t-il dit, «de stocks stratégiques auxquels nous n'avons pas touché pour l'instant et qui permettent à la France d'avoir plusieurs semaines, de nombreuses semaines de consommation devant elles».

Manuel Valls comme Alain Vidalies disent ne pas comprendre l'attitude de la CGT et de FO après que le gouvernement leur a apporté samedi la garantie que le projet de loi travail de Myriam El Khomri ne modifierait pas leur régime dérogatoire sur les heures supplémentaires. Dans un courrier adressé aux syndicats samedi, Alain Vidalies s'engage à ce que les heures supplémentaires des routiers ne soient pas majorées de moins de 25% alors que le projet de loi prévoit qu'en cas d'accord d'entreprise, les employeurs pourront les ramener à 10% contre 25% à 50% actuellement. «Je suis très surpris d'entendre ce message. […] S'il n'y avait pas une reprise du travail, cela dénaturerait a posteriori la réalité de ce mouvement, ça voudrait dire que ce n'était pas cette question-là qui était majeure pour ceux qui appelaient à la grève mais autres préoccupations», a-t-il ajouté. «Il n'y a aucune raison aujourd'hui de bloquer des dépôts ou des raffineries et de gêner nos compatriotes», a pour sa part martelé Manuel Valls, qui a rappelé au passage sa détermination à faire adopter une loi contre laquelle les syndicats qui y sont opposés ont appelé à une huitième journée de mobilisation jeudi prochain. «Je veux dire à tout le monde que la loi sur le travail, bonne pour les entreprises et pour les salariés, va suivre son cours au Parlement et sera adoptée définitivement en juillet. Personne ne peut en douter un seul instant.»

«Forces de l’ordre et réquisitions»

Alors que le Premier ministre se dit persuadé que le gouvernement réussira à «lever ces quelques blocages, dont il ne faut exagérer je crois à ce stade le volume», la CGT a fustigé, samedi, les méthodes du gouvernement pour neutraliser l'action des grévistes dans les raffineries et dépôts de carburant. En déplacement à Wizernes dans le Nord, Philippe Martinez a estimé que François Hollande et Manuel Valls «utilisent les mêmes méthodes que Sarkozy en 2010», en envoyant «les forces de l'ordre pour casser les grèves». Et de prévenir : «Le gouvernement fait fausse route en jouant la carte des forces de l'ordre et des réquisitions». Il a ajouté qu'«en 2010, du temps de Sarkozy, le gouvernement français avait été condamné, car il est interdit de faire ces réquisitions et de déloger de tels mouvements. Il y aura une réaction à la hauteur de ce que le gouvernement fait», a-t-il menacé.

Le débat a commencé à prendre une tournure plus politique dimanche, la droite accusant le gouvernement d'avoir perdu le contrôle de la situation. «Il faut rétablir l'autorité de l'Etat», a ainsi attaqué Bruno Le Maire (Les Républicains) dimanche sur i-Télé, reprochant à Manuel Valls de ne pas être présent en France alors que la situation devient critique. «C'est une faute de M. Valls de ne pas être en France, là tout de suite», a expliqué Bruno Le Maire. Invité sur TF1 dimanche soir, Nicolas Sarkozy devrait logiquement lui emboîter le pas.

Si la mobilisation des routiers a déjà fait reculer le gouvernement, la semaine qui s'ouvre ne s'annonce pas moins très chahutée pour l'exécutif. Alors que le mouvement semblait s'essouffler depuis le 31 mars (entre 390 000 et 1,2 million de manifestants), il a repris de l'ampleur jeudi, avec entre 128 000 et 400 000 manifestants. L'enjeu, pour les syndicats, est désormais de propager la mobilisation de la rue aux entreprises, en multipliant les arrêts de travail. Le leader cégétiste Philippe Martinez a appelé à «généraliser les grèves». Jeudi prochain, l'objectif sera de «s'appuyer sur les secteurs en grève reconductible – raffineries, cheminots – pour faire la jonction avec ceux qui vont entrer dans le mouvement», expliquait en fin de semaine Fabrice Angéi, membre de la direction de la CGT. Le recul du gouvernement sur les routiers est une «très bonne nouvelle», ont néanmoins salué la CGT et FO, mais pas sûr que l'appel à poursuivre le mouvement soit entendu, selon une source syndicale : «On appelle à poursuivre jusqu'au retrait du projet de loi, mais on sait que la réaction des salariés ne sera pas tout à fait la même. Les heures supplémentaires, c'est vraiment ce qui crispait la base.»

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