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Estelle Balet : mortelle passion

Le 5 février 2016, à Chamonix. Estelle pendant une épreuve du Freeride World Tour.
Le 5 février 2016, à Chamonix. Estelle pendant une épreuve du Freeride World Tour. © JEFF PACHOUD / AFP
Par La Rédaction

La double championne du monde suisse de snowboard freeride est née les pieds dans la neige. Une avalanche sera son linceul.

Ce mardi matin, sur la crête du Portalet, avant de s'engager dans la verticale, Estelle Balet s'est mise à chanter. Un rituel pour évacuer le stress. « J'ai une peur bleue de l'avalanche » confiait-elle. Une appréhension qui, jusqu'à ce jour, était la garante insoupçonnée de sa sécurité. « Dans mon sport, tu ne peux pas être une tête brûlée, sinon tu y passes, disait-elle, tout en avouant être « shootée à l'adrénaline ». La double championne du monde de snowboard freeride, surf en hors piste, a toujours pris toutes les précautions pour qu'il ne lui arrive rien. Préparant ses expéditions de manière scientifique, elle s'entourait des meilleurs spécialistes de la montagne, coach, guide, météorologue...

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« Elle était l'une des seules qui venaient toujours poser des questions sur les conditions en altitudes. », raconte Claude-Alain Gailland, le guide responsable de la sécurité de l'Xtreme de Verbier. Cette compétition, la plus redoutée et la plus légendaire pour les professionnels du hors piste, Estelle l'avait remportée deux semaines plus tôt. C'était son rêve de petite fille. Une consécration à 21 ans, qui avait une saveur particulière, car c'est son père qui lui avait remis le trophée. Eric Balet gère les installations mécaniques de la station de Verbier. Un père aimant et aimé qui l'a toujours encouragée à vivre leur passion commune : la montagne. Mardi 19 avril, la championne tourne un documentaire près D'Orsières dans les Alpes valaisannes.

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Estelle Ballet le 2 avril 2016 au pic des Rosses pendant le Verbier Xtreme
Estelle Ballet le 2 avril 2016 au pic des Rosses pendant le Verbier Xtreme © FABRICE COFFRINI/AFP

A travers ce film, elle veut faire découvrir les pistes qu'elle pratique depuis son enfance. Ce jour-là, elle se met en scène avec Géraldine Fastnacht, son mentor. L'aventurière de 35 ans, qui a remporté 11 titres internationaux et l'Xtreme de Verbier à trois reprises dans la même discipline qu'Estelle, a été longtemps son idole avant de devenir son coach. Les deux jeunes femmes ont tissés des liens très forts. Géraldine présente sa benjamine comme « sa petite soeur de coeur ». « Pour cette sortie raconte, Eric Balet, elles étaient accompagnées d'un guide, n'avaient choisi que des petites pentes. Tous les risques étaient calculés. »

« Il aurait fallu un miracle pour survivre » dit Jean-Marie Bornet de la police cantonale

L'hélicoptère décolle à 7h pour les déposer au sommet après un vol de reconnaissance. Géraldine s'élance la première sur le parcours qu'elles ont défini. Long de 100 à 150 mètres, il reste confiné aux pentes douces. Puis Estelle s'engage à son tour. A son passage, une plaque de neige se détache. La coulée la projette dans un autre couloir, vertigineux celui-là, et entouré de barres rocheuses. La jeune femme est emportée sur une distance de plus de 800 mètres, chutant sur une neige de printemps dure et compacte. « Il aurait fallu un miracle pour survivre », raconte Jean-Marie Bornet de la police cantonale. L'hélicoptère loué pour le tournage la rejoint très vite. La snowboardeuse porte un casque, un détecteur de victime d'avalanche et un airbag. Estelle est dégagée rapidement, mais les multiples tentatives de réanimations ne parviennent pas à la ramener à la vie.

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Estelle, le 2 avril, après sa victoire au Verbier Xtreme
Estelle, le 2 avril, après sa victoire au Verbier Xtreme © FABRICE COFFRINI/AFP

Estelle Balet est née dans la neige. Les stations de Verbier où elle vivait et de Vercorin où elle a grandi, lui ont donné dès l'enfance le goût des hauteurs. Son père, Eric, est un montagnard aguerri. Sa mère, Marielle, une grande skieuse. Estelle monte sur les planches dès l'âge de 3 ans. Avec ses parents, son frère et sa soeur ainés, ils assistent chaque année à l'Xtreme de Verbier. La gamine est fascinée par ces skieurs de hors piste qui osent tout en dévalant le Bec des Rosses. Ce sommet est devenu légendaire pour ceux qui ont glissé sur les 600 mètres de sa face Nord et dont les pentes avoisinent les 60°. C'est une succession de barres rocheuses. La plus impressionnante mesure entre 15 à 18 mètres. Elle porte le nom du premier à avoir osé la dompter en 1997, Gilles Voirol, enfant du pays lui aussi, disparu cinq ans plus tard dans les Rocheuses.

Remporter l'Xtreme, c'est la quête du Graal pour la communauté du hors piste. Géraldine Fastnacht, qui elle aussi a poussé dans la vallée, a gagné trois fois la compétition sous les yeux d'Estelle. Dès lors, la petite n'a qu'un rêve : imiter son modèle. Surdouée de la glisse, à 11 ans, elle se tourne vers le snowboard. Cinq ans plus tard, elle débute la compétition. Géraldine est charmée par l'adolescente. « Elle avait une telle énergie, un telle envie d'apprendre. J'avais l'impression de me voir à son âge », raconte-t-elle. Géraldine vient de quitter le circuit professionnel, alors, elle accepte d'être son entraîneur. Les deux mordues ne se quittent plus. « Lors de ses premières années de compétition, elle était encore mineure. Je la suivais partout. J'étais son entraîneur, sa grande soeur, sa confidente, son chaperon », raconte la jeune femme. L'été, Géraldine l'emmène en haute montagne pour lui apprendre l'escalade et à marcher sur les crêtes. Le travail du duo paye : Estelle se qualifie dès ses 18 ans pour le Free World Tour, le championnat du monde de hors piste et termine 2e de l'Xtreme de Verbier. En 2015, elle remporte le titre de championne du monde. Le 3 avril 2016, elle fait coup double, en décrochant pour la deuxième fois consécutive le titre de championne du monde et pour la première fois l'Xtreme de Verbier.

Le 28 mars au Bec des Rosses
Le 28 mars au Bec des Rosses © M. Gobet / AFP

« Je n'ai jamais été aussi fière », lâche-t-elle à l'issue de l'épreuve. Quelques jours avant sa disparition, Estelle avait posté sur instagram une vidéo d'elle en train de surfer sur une pente abrupte. Un exemple d'images spectaculaires visionnées par des millions d'internautes amateurs de sensations fortes et qui font la renommée de leurs auteurs. « Quand on faisait des images, Estelle ne cherchait ni la ligne la plus raide, ni la barre rocheuse la plus haute. Elle prenait du plaisir sans penser performance », souligne un ami réalisateur. Prudente, elle savait dire non. Emilien Badoux, champion du monde de snowboard freeride en 2014, se souvient : « je l'ai vue renoncer à s'élancer sur la pente malgré les longues marches d'approche ou les diagnostiques favorables des guides. Elle avait l'instinct de la montagne. Elle sentait quand les conditions n'étaient pas bonnes, quand il avait fait trop chaud et que la neige commençait à fondre. Elle préférait rentrer. Et nous redescendions sans skier. »

Emilien participait au documentaire avec Estelle. Mardi 19 avril, c'est avec lui, sur un autre sommet qu'elle devait évoluer pour faire des images. Estelle lui a demandé s'il pouvait échanger son jour avec Géraldine. Il a accepté. « Il lui manquait quelques images pour finir son film sur notre région, explique son père, quelqu'un d'autre ce serait peut-être contenté de moins. Mais pas Estelle. Elle était comme ça. » Parmi les témoignages qu'Eric a reçu, l'un d'eux l'a touché plus particulièrement. C'est celui de Bruno Bagnoud, le patron d'Air-Glaciers, une compagnie de sauvetage en hélicoptère. « Lui aussi a perdu son fils de manière tragique, raconte Eric Balet. Nos enfants étaient les mêmes. Entiers, passionnés, honnêtes et perfectionnistes. Ma fille était quelqu'un d'exceptionnel !»

Le soir du drame, c'était le départ de la Patrouille des glaciers. Une course militaire internationale qui combine ski et alpinisme, ouverte aussi aux civils. Elle a lieu sur les crêtes alpines qui relient Zermatt à Verbier et doit se boucler en une seule étape. Seuls des montagnards endurcis peuvent y participer. Le commandant de la course, le Colonel Max Contesse, a demandé aux concurrents de respecter une minute de silence en hommage à Estelle. « C'était une championne et la fille d'un patrouilleur » a-t-il expliqué. Eric Ballet devait s'élancer avec eux cette nuit-là. Les militaires étaient émus aux larmes. Avec eux, le Valais tout entier pleure son enfant prodige et maudit l'adage qui dit que le risque zéro n'existe pas et que seule la Montagne décide qui doit vivre ou mourir.

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