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ReportageAlimentation

Derrière le simple pain, une industrie sophistiquée s’est développée

Les professionnels de la boulangerie et de la pâtisserie ont tenu salon début février, en région parisienne. Marques, surgelés, additifs, levures aromatiques… l’industrie veut prendre soin des artisans en leur mâchant le travail. Quelques stands, cependant, font de la résistance.

  • Villepinte (Seine-Saint-Denis), reportage

Tous les deux ans, c’est un événement pour la filière : le salon Europain. Mais pourquoi un salon, pour un aliment aussi simple que le pain ? A part les boulangers, qui sont les professionnels de cette filière, qui cela peut-il intéresser ? Eh bien, en fait, tout le monde : car derrière « le pain de ce jour » se cachent une profusion de techniques et de manipulations qui mérite l’attention. Reporterre était curieux, est allé voir... Et surprise, on n’a pas trouvé que des artisans, mais aussi des industriels.

Attention, nous avertit-on à l’entrée, ici, c’est un salon professionnel. Public visé par Europain, qui s’est tenu du 5 au 9 février : les artisans boulangers-pâtissiers, mais aussi les industriels de la « BVP » – comprenez boulangerie, pâtisserie, viennoiserie – ainsi que les visiteurs internationaux, qui représentent près de 30 % des 75.000 personnes attendues, estiment les organisateurs.

Dès les premiers pas dans le hall du parc des expositions de Villepinte, l’attention est retenue par l’immense stand des Grands Moulins de Paris. Un panneau de plusieurs mètres de haut expose, telle une collection, les pains de la marque Moul-Bie : Campaillou, Cœur d’Épi, Kapnor (un pain noir aux céréales), Pain maxi céréales, etc. Un boulanger-démonstrateur du moulin me tend le catalogue. Derrière ces noms se cachent en fait des « mix » de farines, graines et additifs prêts à l’emploi. Le boulanger n’a pas à faire le mélange, il n’a qu’à ajouter l’eau, éventuellement la levure. Et à suivre la recette indiquée sur le sac de farine.

Des viennoiseries brillantes comme des bijoux

Telles des maisons de poupées grandeur nature, deux coquettes boulangeries délimitent le stand. Devanture vert et blanc, la première est de la marque Copaline, « complice de la nature », selon le slogan. La gamme de pains est fournie par les Grands Moulins de Paris et « les pâtisseries, viennoiseries et traiteur chaud viennent de la gamme Recettes de mon moulin, ce sont des produits surgelés », explique la responsable de la marque.

Le stand-boulangerie Copaline.

La responsable de la marque Campaillette, la deuxième boutique, prend le relais : « En fait, les boulangers ont une formation très technique. Par contre, la gestion d’une marque, de l’implantation idéale, ce sont des choses, des services, que, nous aussi, on peut apporter. On se positionne comme le partenaire de nos clients. On va plus loin que juste leur vendre de la farine. »

En face, un sérieux concurrent dans le domaine des surgelés aligne plusieurs dizaines de mètres de vitrines. Fedipat, « le fédérateur de goût », annonce la bannière qui surplombe le stand. Gâteaux élégants, pâtisseries individuelles, viennoiseries appétissantes et bouchées salées ont été soigneusement disposés. Un vendeur vente les mérites des croissants à un boulanger. D’autres attendent les clients, le catalogue à portée de main. « Nous avons 800 références et fournissons les points chauds, les lieux de snacking, l’hôtellerie et les artisans », explique l’une d’eux.

Sur le salon, on croise plusieurs autres stands du même genre, exposant leurs viennoiseries brillantes comme des bijoux : Bridor, Délifrance, la marque Collection gourmande des Moulins Soufflet, Neuhauser, etc. Chacun réchauffe ses surgelés pour les faire déguster aux potentiels clients. Beaucoup de vendeurs ne parlent pas français : « Plus de la moitié de notre marché est à l’international », explique l’un d’eux.

Rendre la farine plus facile à travailler

Un autre grossiste, quelques stands plus loin, met en avant sa collection de fèves. « Mais on ne fait pas que ça ! » précise le représentant de Disgroup. Emballages, et surtout fruits secs, sucre, chocolat, charcuterie pour les sandwichs, mais aussi des « pâtes aromatiques » pour parfumer glaces et desserts, ou encore des mélanges de pralinés à incorporer directement dans les pâtisseries… « Nous sommes des grossistes et vendons les ingrédients aux artisans », explique-t-il. Face aux journalistes, il est méfiant : « Il y a plein de reportages à la télé qui disent que les artisans ne font plus rien. Je me demande si ce n’est pas la grande distribution qui les commande… Nous, on défend les artisans. »

Marc Hemery imagine des recettes à partir des produits Disgroup et les propose aux clients de l’entreprise.

Autre ingrédient nécessaire à la panification, la levure. C’est la spécialité du groupe canadien Lallemand. Parmi les nouveautés au catalogue, les « levures aromatiques », à choisir en fonction des goûts que l’on souhaite développer : fruité, fleuri, céréales, herbe verte, ou même truffe noire. « C’est la même technologie que celle qu’on utilise dans le vin », explique Vilma Almaida, une commerciale. Une autre levure permet de donner un goût salé, et donc de baisser la quantité de sel dans le pain. Un troisième produit permet de fabriquer rapidement des pains au levain, d’habitude à fermentation lente. « C’est pour les points chauds ou dans les boulangeries avec snacking qui font du pain toute la journée : ils cherchent un pain qui n’a pas besoin de préfermenter 18 ou 20 heures », détaille-t-elle.

Vilma Almaida, de chez Lallemand.

La société Eurogerm, elle, fabrique des « correcteurs » et des « améliorants ». Comprenez : des additifs en tout genre, qui permettent de rendre la farine plus facile à travailler. « On analyse le produit de base de notre client – la farine du meunier ou le pain de l’industriel – puis on lui fait en quelque sorte une ordonnance », explique la directrice de communication. Mais quels additifs prescrivent-ils ? Elle parle d’ajout de gluten, évite de nommer d’autres produits. « Aujourd’hui, il y a une tendance vers ce que l’on appelle le "clean label”, c’est-à-dire qu’on essaye d’avoir un étiquetage avec le minimum d’additifs », avance-t-elle.

Les « mix » « clean label » d’Eurogerm.

Au fond du hall se trouve le coin réservé aux industriels de la boulangerie. À perte de vue, des machines en tout genre : « fours tunnels » qui sortent des gâteaux en continu, pétrins géants, ensacheuses, etc. Werner France est un des leaders, nous affirme son gérant, Gilbert Case. Il refuse de citer le nom de ses clients. « Mais les principales marques de pain de mie que l’on trouve en grande surface sont fabriquées avec nos machines, de même que certaines baguettes haut de gamme », lâche-t-il tout de même. Il estime que la plus grosse usine qu’il ait équipée peut sortir 100.000 baguettes à l’heure. « Au début, on faisait n’importe quoi mais, maintenant, on sait faire du bon pain industriel avec une cuisson sur sole de pierre et des fermentations longues et lentes. C’est parfois mieux que chez certains artisans », défend-t-il.

Garantir une qualité de farine et une traçabilité

Alors la boulangerie a du souci à se faire ? Pour se remonter le moral, on s’arrête à un petit stand. Graines de créateurs offre de magnifiques cakes à la dégustation : farines sans additif, produits frais. Le boulanger nous tend une tranche de gâteau à l’orange. Délicieuse. Mais ce n’est pas pour les particuliers : « On travaille en direct avec les hôtels et les restaurants », explique Éric Delagarde.

On repère aussi les moulins bios. Les moulins Bourgeois ont laissé une large place à leur gamme bio sur leur stand. Dans le groupe Girardeau, c’est la minoterie Suire, spécialisée dans le bio, qui a été mise en avant. Sans doute un coup de com, mais également, on l’espère, une indication de la tendance du marché.

Sur le chemin de la sortie, un autre petit stand attire notre attention. Il présente une filière allant de l’agriculteur au boulanger. De la graine au pain propose les farines d’un territoire proche de Clermont-Ferrand, la Limagne. « C’est le meilleur terroir à blé de France, les analyses le montrent chaque année », explique la responsable, Sophie Koroghli. Quelques agriculteurs de la plaine auvergnate alliés avec trois petits moulins et des boulangers ont créé une filière locale pour garantir une qualité de farine et une traçabilité. Ils ne sont pas bios, mais déjà Label rouge, ce qui garantit l’absence de pesticides dans les silos. « La filière pain est très diversifiée, poursuit-elle. Cela va de ceux qui ne se préoccupent pas d’où vient leur farine à des gens qui veulent travailler avec des produits de qualité et développer l’économie locale. »

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