FOOTBALLIncidents de Nice-Bastia: «Aujourd’hui, les clubs corses restent un élément identitaire fort», selon Didier Rey

Incidents de Nice-Bastia: «Aujourd’hui, les clubs corses restent un élément identitaire fort», selon Didier Rey

FOOTBALLChercheur et spécialiste du football corse, il revient sur les rapports compliqués entre le football de l'Île de Beauté et le continent...
Jean-Louis Leca, le gardien de Bastia, est entré sur la pelouse avec un drapeau corse à la fin de la rencontre Nice-Bastia (0-1), le 18 octobre 2014.
Jean-Louis Leca, le gardien de Bastia, est entré sur la pelouse avec un drapeau corse à la fin de la rencontre Nice-Bastia (0-1), le 18 octobre 2014. - JEAN CHRISTOPHE MAGNENET / AFP
Antoine Maes

Antoine Maes

Maître de conférence à l’Université de Corse et historien du football de l’île, Didier Rey a un peu de travail depuis la semaine dernière. Alors que la commission de discipline examinera jeudi le dossier des débordements qui ont émaillé Nice-Bastia vendredi dernier, le chercheur revient sur les relations entre le football corse et le continent.

Quel est l’adjectif qui définit le mieux les relations entre les clubs corses et le football du continent?

Ambigüe. Le problème c’est que les relations sont fondées sur des représentations. On attribue aux équipes corses des comportements qui seraient issus de la culture corse: irascibles, en révolte… Ça pourrait tenir la route si les joueurs qui portaient ce maillot étaient corses. Mais il doit y avoir 10% de joueurs corses dans toutes les équipes réunies. Là, ce n’est plus l’incapacité à gérer une partie de foot qui est en cause, mais un joueur qui brandit un drapeau. La victime devient coupable. Ça tient plus globalement aux rapports ambigües entre la Corse et la France depuis un demi-siècle.

Les clubs corses se victimisent-ils?

Il y a une machine victimaire, et les deux discours se nourrissent. Pour le coup, le discours victimaire est fondé dans cette affaire. Est-ce qu’on imagine que Metz va gagner à Toulouse, un joueur brandit un drapeau lorrain, et il y a un envahissement de terrain, on va dire que ce sera de sa faute? Mais le fait qu’on introduise le terme «corse» permet toutes les justifications.

Le football corse s’est-il construit sur ce sentiment, avéré ou pas, de rejet de la part du continent?

Incontestablement, ça fait partie de l’identité du football corse. Au départ, c’est tout à fait justifié. Les clubs corses veulent intégrer les championnats de France amateur, ça leur est refusé. En 1959, il y a une réforme, on crée six groupes, avec des clubs de l’Algérie française, et les clubs corses sont exclus. Ils bataillent pour être acceptés et finissent par l’être, avec une limitation qui va durer jusqu’en 1993: il ne peut y avoir qu’un seul club corse en CFA. En 1965, l’ACA et le Sporting candidatent au championnat pro de 2e division, l’ancêtre de la Ligue les intègre, et très vite ils montent en 1ère division. Et le schéma se reproduit: quand ils jouent à l’extérieur, les joueurs s’attendent à être reçus comme des Français à part entière, et finalement on les traite d’Italiens!

Qu'en est-il de la fameuse légende de l'accueil corse?

Cela se joue plus du côté des supporters que du club. Quand on dit par exemple: «Il faut que Furiani redevienne un bastion imprenable», ce qu’il n’a jamais été… Il y a depuis 1968 six saisons à tout casser où le club ne perd pas à domicile. Même l’année de la Coupe d’Europe, le championnat démarre par deux défaites à domicile.

En 2014, en quoi un club corse est-il différent d'un club en Lorraine ou en Loire-Atlantique?

Il doit être différent par l’ampleur de l’attachement populaire. A Bastia, il y a 10 ou 11.000 abonnés, dont le quart sont des femmes, pour 15.000 places. Aujourd’hui, peut-être plus qu’en 1970, ça reste un élément identitaire fort. Le hand et le rugby, quand ils ont candidaté pour les championnats amateurs, ont les a aussi refusés. Et quand ils ont menacé de s’inscrire en Italie, on les a intégrés. Mais il n’y a pas ce passé antagoniste sur le long terme avec les instances. Enfin, il y a le fait que le foot corse a brillé dans des années très difficiles, celles d’Aleria, du FLNC…

Dans le foot, les relations peuvent-elles se normaliser entre les Corses et le continent?

Il y aurait un cas de comparaison, c’est l’OM. C’était le vilain petit canard dans les années 1960 et 70, et les choses ont changé à partir des années 1980. Il faudrait que les clubs corses deviennent sportivement incontournables. Parce que ce n’est pas seulement parce que ce sont des clubs corses… On l’a vu avec l’affaire Luzenac, aujourd’hui tout ce qui n’est pas dans le business est inintérressant. Si la LFP pouvait se débarrasser de ce qu’elle considère comme des canards boiteux, elle ne se gênerait pas.

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