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Picasso : 200.000 papiers retrouvés et bientôt classés

Listes de tableaux, lettres de célébrités, poèmes, relevés bancaires... Alors que le musée Picasso va ouvrir ses portes le 25 octobre prochain, Laure Collignon, la responsable du pôle archives, raconte l'histoire de ces documents insolites que le peintre avait précieusement conservé.

On est ce qu'on garde. Alors, puisqu'il était tout, Picasso gardait tout. Moins en maniaque qu'en archiviste-poète, artiste de chaque instant et pour l'éternité. Très soucieux donc de sa postérité. À sa mort, le 8 avril 1973, ses héritiers ont fait le tour de la villa Notre-Dame-de-Vie, à Mougins, mais aussi de La Californie, à Cannes, et du château de Vauvenargues, ses derniers ateliers. Ils n'ont pas fait qu'y inventorier ses 1885 tableaux, 15.000 dessins, 1228 sculptures, ses milliers de gravures et ses centaines de céramiques. Ils ont également rassemblé les papiers. Une autre œuvre en soi.

Voire un chef-d'œuvre. Des liasses et des liasses de courriers, des boîtes à cigares ou à cigarettes remplies de papiers épars, des éphémérides, des agendas et répertoires, des porte-documents en cuir, des cartons bourrés de déclarations d'impôts, de bilans comptables, de souches de chéquiers, de factures, y compris celles du boucher et du boulanger. Contenus de portefeuilles, empilements de boîtes d'allumettes, stalagmites de publicités (meubles à prix réduits), litanies de doléances, requêtes d'associations, invitations à des vernissages, sollicitations pour des projets d'édition, cartes d'adhésion (membre honoraire des sapeurs-pompiers de la ville de Gisors), bulletins (de la Société des amis d'Indochine), faire-part (fiançailles avec Olga), directives gribouillées («Marcel, videz l'eau du radiateur»), plis importants signés Ojo («œil» en espagnol), visage stylisé à la manière du 0 + 0 = la tête à Toto. La frontière est floue entre la feuille d'usage et le brouillon génial. Quel inventaire! Prévert peut aller se rhabiller.

Un portrait par Stravinsky, une partition de Satie

Utiles aux experts, les listes d'œuvres produites, vendues, prêtées pour tel ou tel accrochage ou simplement déménagées d'une demeure à une autre ont été dépouillées. Les poèmes et écrits du Minotaure ont pareillement été étudiés et publiés. Ce n'est pas le cas des lettres émanant des (nombreux) détracteurs, parfois anonymes. Cela ferait un amusant florilège d'insultes à éditer. La correspondance, forte de 20.000 lettres, s'avère diversement fouillée. Max Jacob et Apollinaire ont été valorisés. Mais, dans cette «sous-série C» du fonds, les calligrammes de Fautrier, certains croquis de Dali ou fulgurances de Breton vaudraient qu'on les exhume. L'assistante de Matisse, Jacqueline Duhême, a livré une jolie série d'enveloppes illustrées. Elles demeurent enfouies sous la masse. De même, certains de ces documents n'ont jamais été ouverts depuis 1932. Syndrome de phobie administrative? Contrairement à Thomas Thévenoud, Picasso avait les moyens d'ignorer ces contingences.

Et ses archives sont infiniment plus savoureuses que celles de notre éphémère secrétaire d'État au Commerce extérieur. Avec encore, en vrac, un portrait de lui par Igor Stravinsky datant de 1920 ou un bout de partition d'Erik Satie.

Ouvrons les boîtes à cigares et comptons: 56 billets de cinéma, 42 de corrida, 24 de cirque, 7 de matchs de boxe ou de catch, des entrées au Grand Rex, au Cirque d'Hiver, à Medrano, à des galas canins… Ces traces d'une vie magnifiquement remplie ne commencent qu'en 1917. Picasso est alors déjà mondialement connu. De là à dire qu'il a gommé son ascension pour mieux la mythifier, il n'y a qu'un pas. Que Laure Collignon, responsable du pôle archives, bibliothèque et documentation du Musée Picasso depuis juillet 2011, n'ose franchir.

Plutôt que de se perdre en conjectures, elle préfère s'attendrir sur quelques documents très personnels. Plusieurs recettes de gâteau au chocolat maculées de taches, les menus objets du vide-poches, ruban, caillou, ticket de métro. Elle a également la charge de conserver une large cravate à grosses rayures «très laide», et aussi une moufle, taille enfant. L'autre est perdue…

Cette stratification géniale d'un artiste hors pair, qu'on peut rapprocher de ses papiers collés, œuvres desquelles le cubisme découle, a été déposée au Palais de Tokyo au début des années 1980. Un inventaire sommaire a été mené par un représentant des Archives nationales et un membre du Musée Picasso qui était alors dans sa phase de préfiguration. Puis, en 1990, les héritiers ont fait le choix de récupérer chacun les courriers concernant leur mère et leur famille respective. «En définitive, pas une boîte entière, quelques centaines de lettres», précise Laure Collignon, qui garde toutefois la liste. Le reste - 25 mètres linéaires - a été classé non chronologiquement mais thématiquement en neuf sous-séries, conditionné dans des boîtes saines et donné à l'État en décembre 1991. Le ministère de la Culture a affecté ce fonds conjointement à la Direction des archives de France et à la Direction des musées de France. Deux numéros d'inventaire donc, ce qui est unique. Cette double tutelle permet de renforcer les compétences. «À l'époque, l'ensemble des papiers de Picasso était estimé à 110.000 documents, mais je pense qu'on est plus près des 200.000 car beaucoup de choses n'ont pas été prises en compte. Quantité de plis n'ont pas été ouverts, beaucoup contiennent plusieurs papiers», estime la responsable, qui ne donne pas de date pour l'aboutissement de l'inventaire définitif.

Tout numériser d'ici à 2016

Pour la seule «série B», textes, poèmes et bribes de pensées sur des bouts de papiers divers (entre 2000 et 2500 pièces du type «Il faut vraiment avoir la trouille pour avoir peur d'une colombe»), Laure Collignon envisage l'achèvement des notices individuelles et de la numérisation à l'horizon 2016. Le Musée Picasso a déjà accompli ce travail pour ces fonds hors Picasso telles les lettres de Brassaï ou de Dora Maar.

Pour le maître, une vie de chercheur ne suffira sans doute pas. «Excepté une exposition en 2003, dont le catalogue est épuisé, ce fonds est étonnamment méconnu, y compris par les chercheurs. Personne ne peut se targuer de l'avoir lu entièrement», conclut la conservatrice. Car outre les séries B et C, il renferme la comptabilité, les invitations, les relations avec les institutions culturelles, l'action sociale et politique, la bibliothèque et les coupures de presse (Picasso était abonné à l'Argus de la presse, recevait et lisait tous les articles le concernant), les relations avec l'Espagne, et enfin les photographies (17.000 bien valorisées par Anne Baldassari). Le tout est entreposé en banlieue et consultable, selon l'arrivage des navettes, aux Archives nationales, 87, rue Vieille-du-Temple. En attendant une nouvelle salle de lecture digne de ce nom, une seule personne peut être accueillie dans un bureau. Au deuxième étage, dans les anciens locaux de la section des Archives contemporaines, transférées à Pierrefitte-sur-Seine, le Musée Picasso en assure la diffusion et la valorisation. Sept personnes s'y consacrent entièrement et répondent aux chercheurs en traitant leur demande à distance. 191 demandes traitées en 2012, 300 en 2013 et + 15 % pour les premiers mois de 2014. Tel est l'effet du nouvel hôtel Salé.

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