INTERVIEWCorée du Nord: «Le grand rêve de Kim Jong-un, c’est de rencontrer Obama»

Corée du Nord: «Le grand rêve de Kim Jong-un, c’est de rencontrer Obama»

INTERVIEWPascal Dayez-Burgeon, spécialiste de la dictature nord-coréenne, décrypte l’étrange relation que la Corée du Nord entretient avec l’étranger...
Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un pendant son inspection d'un nouveau complexe résidentiel à Pyongyang, le 14 octobre 2014
Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un pendant son inspection d'un nouveau complexe résidentiel à Pyongyang, le 14 octobre 2014 - Rodong Sinmun Rodong Sinmun
Nicolas Beunaiche

Propos recueillis par Nicolas Beunaiche

Il est l’un des personnages publics les plus mystérieux de la planète, et ses absences font presque plus de bruit que ses apparitions. Kim Jong-un fascine l’Occident, qui s’est lancé ces derniers jours dans une grande enquête à distance pour retrouver le leader nord-coréen, qui n’avait plus donné signe de vie depuis un mois. Quels rapports la Corée du Nord et son leader entretiennent-ils avec l’étranger? Pascal Dayez-Burgeon*, spécialiste de la Corée, livre son éclairage.

Pourquoi parlons-nous autant de la Corée du Nord et de son leader en Occident?

Le pays est une sorte de «Stalineland». Il symbolise à la fois l’horreur, la concentration, la psychose, d’une part, et le grotesque, le ridicule, d’autre part. C’est médiatiquement intéressant, vu de l’Occident. C’est ce que recherche d’ailleurs Kim Jong-un lui-même. Tout est bon pour faire parler de lui, les menaces d’envoyer des missiles comme ses absences et réapparitions. La Corée du Nord est trop souvent vue dans l’immédiateté, mais cela fait 50 ans qu’elle procède de cette manière. Kim Jong-il a disparu pendant cinq ou six ans lui-même et avant lui, son père, Kim Il-sung, avait également joué là-dessus. C’est de la propagande qui aseptise ce régime dictatorial et sanguinaire. La réalité de la Corée du Nord est bien plus ennuyeuse et laide que ce que renvoie son image. Il ne faut pas sous-estimer non plus le rôle de la Chine, qui se sert de la Corée du Nord pour renforcer son image de sérieux.

La Corée du Nord a donc une stratégie de communication tournée vers l’étranger?

Evidemment. Lorsque Kim Jong-un fait déposer auprès des Nations Unies une plainte officielle afin de faire interdire le film américain sur son assassinat [The Interview, avec James Franco et Seth Rogen], il le fait parce qu’il déteste être tourné en ridicule, mais c’est aussi un prétexte pour exister sur la scène internationale. Son grand rêve, c’est de rencontrer le président des Etats-Unis. Déposer une plainte crée une tension avec Washington, pose les bases d’un éventuel dialogue, que les Etats-Unis continuent pourtant de refuser systématiquement. Lors de la dernière venue du basketteur Dennis Rodman à Pyongyang, Kim Jong-un lui aurait d’ailleurs à nouveau demandé de parler de lui à Barack Obama.

L’information arrive en Occident sous forme de bribes et de rumeurs. Par quels canaux nous parvient-elle?

La frontière est bien moins étanche qu’on ne le croit. Les Nord-Coréens peuvent acheter un passeport pour l’équivalent de 50 euros et traverser parfois la frontière. Je sais par exemple que des femmes vendent à Pyongyang des CD achetés en Corée du Sud. Par ailleurs, 60% des Nord-Coréens ont un téléphone portable. Ils sont bloqués mais les miracles technologiques existent... Quand l’information de la mort de Kim Jong-il s’est répandue dans le Nord, les journalistes du Sud ont reçu des appels dans les vingt minutes. La presse sud-coréenne est donc informée de ce qui se passe en Corée du Nord. Le problème, ensuite, c’est de démêler le vrai des rumeurs lancées par les médias d’opinion, très nombreux. Une grande partie de ce qu’on peut entendre sur le pays de Kim Jong-un vient aussi des 20.00 réfugiés nord-coréens dans le Sud. Ce sont par exemple eux qui ont envoyé des ballons transportant des tracts anti-dictature. Il faut parvenir à croiser les sources pour vérifier tous ces bruits, et cela prend du temps.

*La dynastie rouge: Corée du Nord, 1945-2014, édition Perrin, sorti le 16 octobre 2014.