La faillite de Gowex sème le doute sur le modèle économique du wi-fi

« Gowex sera le plus grand opérateur du monde en 2020 ». Jenaro Garcia Martin, le patron de l’opérateur wi-fi espagnol, qui tenait encore ces propos en mai, n’a jamais eu peur des superlatifs. La Bourse l’adorait, et la valeur de la société avait été multipliée par sept de 2010 à 2013, puis par onze depuis le début de 2014. Jusqu’à ce 1^er juillet, jour où les révélations de la société de trading Gotham City Projectont fait chuter le cours de 60 % en deux jours – probablement plus si la cotation de Gowex n’avait pas été suspendue à Madrid et à Paris.

Depuis, Martin a démissionné et reconnu qu’il avait falsifié les comptes depuis des années. Il a présenté ses excuses dimanche via son compte Twitter. « Je veux collaborer avec la justice. Je ferai face aux conséquences », a-t-il ajouté. Si la plupart des investisseurs ont foncé dans le miroir aux alouettes, les professionnels du wi-fi ne comprenaient pas comment fonctionnait le modèle Gowex. Comment pouvait-il réaliser un chiffre d’affaires si élevé (183 millions d’euros en 2013) avec si peu de salariés  ? Comment faisait-il pour être valorisé dix fois son excédent brut d’exploitation, dans un secteur où tous peinent à enregistrer les premiers profits  ?

La faillite du Wi-fi municipal

La banqueroute de Gowex, même si elle est liée à des malversations, met en lumière la difficulté à trouver un modèle économique viable pour le wi-fi. Cette technologie est en plein essor, car elle est standardisée et disponible sur des fréquences gratuites. Mais il faut tout de même déployer un réseau, ce qui coûte cher. Pas question, enfin, de faire payer un deuxième forfait mobile aux consommateurs, qui cherchent justement à alléger leur facture grâce au wi-fi. Bref, c’est la quadrature du cercle.

C’est pourquoi les opérateurs wi-fi ne sont pas un investissement de père de famille, rappelle Ian Keene, analyste chez Gartner  : « Il y a six ans environ, plusieurs opérateurs wi-fi américains ont fait faillite parce qu’ils avaient déployé des réseaux aux motivations politiques », rappelle-t-il. Autrement dit, le wi-fi municipal, qui permet aux élus de communiquer, est rarement un gage de réussite. « On a offert un service gratuit, mais sans penser aux applications qui vont avec », déplore l’analyste. Le succès de Gowex repose en grande partie sur ce wi-fi municipal, caractérisé par des contrats modestes avec des collectivités, des revenus publicitaires inconsistants, des services à valeur ajoutée fantomatiques.

Le groupe a aussi signé des contrats avec des opérateurs de transports en commun, comme la RATP en France. Mais c’est la RATP qui a installé un réseau mutualisé, et qui perçoit de l’argent de son client Gowex.

Des pertes chez les principaux opérateurs Wi-fi indépendants

En réalité, même en ayant « signé » des municipalités comme New York ou Madrid, il est difficile d’atteindre la taille critique. D’ailleurs, les concurrents cotés de Gowex, Boingo, iPass ou Towerstream, déclarent des pertes. Tous font la course pour récolter des clients. « La logique de la plupart des acteurs indépendants est de valoriser leur base pour la vendre ou pour passer des partenariats intéressants », souligne Frédéric Pujol, à l’Idate. C’est ce qu’a fait Fon, un opérateur wi-fi qui ouvre son réseau de 12 millions de points d’accès (hotpots) aux clients de SFR ou de BT. Ces deux opérateurs exploitent par ailleurs chacun près de 4 millions de box wi-fi. Gowex a tenté égalementde capitaliser sur le wi-fi « communautaire » des opérateurs télécoms.

Si les opérateurs mobiles, voire les câblo-opérateurs, ont intérêt à devenir des géants du wi-fi, ne serait-ce que pour s’étendre sur d’autres fréquences, Ian Keene estime que les acteurs indépendants peuvent trouver la clef des profits. « On peut gagner de l’argent avec le wi-fi en facilitant l’analyse de données clients en temps réel pour des besoins d’information et de marketing, estime-t-il. Des gares ou des centres commerciaux sont en train de tester la formule, et ça marche. » Starbucks, qui offre le wi-fi à ses clients, ne les fait pas payer. Mais les données récoltées valent de l’or.