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Paris School of Economics, la petite école qui monte

Un peu plus de sept ans après sa création, l’Ecole d’économie de Paris s’est fait une place dans le petit monde très concurrentiel de la recherche économique mondiale et s’est imposée comme « marque ». Elle reste toutefois une institution atypique et singulière, fortement nourrie des écoles prestigieuses qu’elle fédère.

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L’Ecole d’économie de Paris a été créée peu avant Noël 2006 à l’initiative de Thomas Piketty et de Daniel Cohen

Par Daniel Bastien

Publié le 21 juin 2014 à 09:59

Vous allez voir le nombre d’étudiants qui vont postuler à PSE à la suite de la publication du bouquin de Piketty ! », s’amuse l’un de ses éminents confrères. C’est sans doute vrai. Mais l’Ecole d’économie de Paris (alias Paris School of Economics), créée peu avant Noël 2006 à l’initiative du même Thomas Piketty, qui en fut le premier directeur, et de l’économiste Daniel Cohen, dans l’idée de concurrencer la célèbre London School of Economics, avait-elle besoin de ce joli coup de pub ? Pas vraiment. « PSE est plus connue parmi les universitaires dans le monde entier que par les non-universitaires en France », rassure flegmatiquement son actuel patron, Pierre-Yves Geoffard. Ce normalien issu du CNRS et de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, spécialiste réputé de l’économie de la santé, a succédé à ce poste il y a un an à François Bourguignon, qui avait quitté son piédestal d’économiste en chef de la Banque mondiale pour prendre les rênes de cette jeune école accueillant dans son conseil scientifique tout ce qui compte dans le monde de l’économie, dont le prix Nobel Amartya Sen. Un petit « name dropping » qui en dit déjà long sur ce nid de chercheurs de haut vol, sur cette école atypique et singulière qui, en quelques années, a réussi à se donner une stature internationale.

Vitrine de la science économique à Paris, PSE n’est à l’évidence guère connue du grand public. Physiquement, elle est même aujourd’hui quasiment invisible… Dans le joli quartier de la Cité internationale universitaire de Paris, là où le boulevard Jourdan prend des allures de large avenue cossue et verdoyante d’Ixelles à Bruxelles, on hésite devant le numéro 48 : un portillon anonyme, une guérite en bois flanquée d’une affichette « ENS » (en déduire « Ecole normale supérieure ») et des pavillons préfabriqués datant de l’après-guerre quelque peu décrépis. C’est ce qui reste du petit campus Jourdan que partage PSE avec Normale sup, il est vrai un peu bousculé par les travaux de démolition de quelques bâtiments, qui feront place en 2016 à un vaste immeuble aussi futuriste qu’élégant dédié aux deux écoles.

Créée sous la forme d’une sorte de joint venture entre le CNRS, l’Ecole des Ponts, l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), l’ENS, l’Inra et l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, à une époque où les regroupements d’institutions d’enseignement supérieur n’étaient pas encore à la mode, elle reste un modèle quasi unique dans le domaine de l’économie. Elle n’enseigne – uniquement en anglais – qu’en master (300 étudiants) et doctorat (200), n’emploie presque aucun professeur en propre (que quatre, dont trois étrangers), ne délivre pas de diplômes (elle labellise ceux de ses institutions fondatrices) et ses quelque 130 enseignants-chercheurs, tous fonctionnaires, sont payés par leurs six établissements d’origine. Comme la prestigieuse Toulouse School of Economics, l’objectif était de fonder à Paris une école d’excellence de niveau mondial capable de recruter les meilleurs chercheurs sur le marché international tout en retenant au pays les cerveaux français.

« Le problème de Paris, c’était des établissements d’enseignement supérieur soit trop petits, soit bloqués par des luttes intestines ou par les règles de la fonction publique », rappelle un économiste de l’OCDE. « On s’est appuyé sur l’existant, par ajout », explique Thomas Piketty, resté un pilier de PSE. L’école a un gros avantage : son statut de fondation privée lui permet de choisir ses élèves, contrairement aux universités, et d’échapper aux contraintes du public. Afin d’attirer des enseignants-chercheurs étrangers, alors que les salaires en France sont plus faibles, PSE peut ainsi leur verser une rémunération « privée » complémentaire à celle accordée par les établissements fondateurs qui les recrutent. Il est connu qu’un jeune chargé de recherche au CNRS gagne environ 2.000 euros par mois quand un étudiant chercheur d’une business school américaine obtient jusqu’à 200.000 dollars par an… « On arrive à combler une partie du différentiel par rapport au salaire statutaire en ajoutant de 1.000 à 1.500 euros par mois. Car il ne faut pas que nos chercheurs aient à courir le cachet de consultant pour payer leur loyer à Paris », indique Pierre-Yves Geoffard.

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Fédération d’établissements individuellement remarquables, PSE n’en représentait pas moins un pari risqué : par tradition ces « écoles » ne coopéraient pas entre elles. Un peu plus de sept ans plus tard, il semble gagné. « La visibilité internationale de PSE dépasse toutes les espérances. Nous sommes dans le Top 10 mondial. C’est le meilleur rendement international au regard de l’investissement », s’enthousiasme Thomas Piketty. En comparant PSE à ce qui est comparable, c’est-à-dire aux seuls autres départements d’économie, l’école est arrivée en 2013 au 8e rang mondial du fameux classement RePec, loin devant LSE, en 23e position. L’Aeres (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) ne tarit pas d’éloges sur une école « qui ne se limite pas à attirer des stars, mais est capable de valoriser de jeunes talents » et « a contribué à désenclaver la recherche française » en économie. Elle considère qu’elle joue aujourd’hui dans la même cour qu’Oxford, NYU, TSE, Berkeley ou LSE, avec 17 chercheurs dans le « Top 5 % » – le classement mondial des meilleurs chercheurs. Même si la France reste archidominée par les Etats-Unis, Harvard en tête…

Finances : là où le bât blesse

La construction de la « marque » PSE a décollé dès 2011-2012, et son attractivité est forte, estiment les experts. C’est une école qui « donne envie », résume à Harvard, où il enseigne, Emmanuel Farhi, ancien de Normale sup et de PSE, élu « meilleur jeune économiste français 2013 ». Elle est montée en puissance sur le très concurrentiel « job market » international des chercheurs, elle retient les Français, ses séminaires sont très courus et, en termes de formation, « nous avons déjà 40 % d’étudiants étrangers et désormais davantage de candidatures d’étrangers que de Français », souligne Pierre-Yves Geoffard. Sans compter le « socle d’étudiants français exceptionnels » nourri spontanément par ses membres et ses partenariats (Polytechnique et l’Ensae). Signe que la « mayonnaise a (bien) pris », « les synergies se sont multipliées par disciplines et de manière transdisciplinaire », soulignent les chercheurs, qui signent d’ailleurs leurs publications d’une double signature : PSE, d’abord, et l’école ou l’université à laquelle ils sont rattachés (et qui les paie…), ensuite.

Mais pourquoi choisir PSE, se demandera-t-on ? Visiblement pour la diversité offerte par ce que son directeur lui-même reconnaît comme un « ensemble assez baroque ». Et aussi pour une capacité « à regarder le monde différemment », soulignent des chercheurs. Soit une vision de l’économie plus ouverte à d’autres disciplines. « On tient les deux bouts de la chaîne, depuis la recherche la plus fondamentale jusqu’à la plus appliquée », ajoute Jean-Olivier Hairault, enseignant-chercheur de Paris-I et PSE qui est passé par le cabinet de Pierre Moscovici. Théorie économique (qui n’a pas le vent en poupe au niveau international mais « où on est très fort ! », estime Thomas Piketty), inégalités (bien sûr…), chômage, politiques publiques, politiques sociales, éducation, réchauffement climatique ou théorie des jeux comptent parmi les images de marque de l’école. Plus une spécificité maison : la construction de données. « Ici, on travaille sur des données longues, qui permettent de tirer les leçons de l’histoire, comme dans “Le Capital au XXIe siècle” de Thomas Piketty », explique Pierre-Yves Geoffard. En rappelant que PSE « ouvre totalement ses données les plus importantes ». Une sorte de « Linux des “data” », en somme…

Alors, PSE « zéro défaut » ? Non, bien entendu. Et ce ne sont pas que des défauts de jeunesse… D’évidence, le fait de ne pas pouvoir inscrire des étudiants et délivrer de diplômes en propre « nous handicape dans les relations avec nos partenaires étrangers et les échanges d’étudiants », reconnaît la direction, et la gestion de sa petite nébuleuse est très chronophage. L’école est ainsi condamnée à mettre en place des systèmes certes « créatifs, mais souvent complexes et peu lisibles », constate l’Aeres. Problème de taille, ensuite. Simple département d’économie, PSE n’a pas la dimension de Sciences po ni de Dauphine. « Elle devrait être adossée à une institution plus importante, à une université globale, comme à Harvard ou au MIT, où l’on trouve toutes les disciplines. Sinon, PSE ne restera qu’un département plus ou moins hors sol », explique un chercheur de Paris-I. « L’école doit être attractive dans des domaines de recherche interdisciplinaires. Elle a besoin de connexions avec d’autres pôles universitaires au-delà de ce qui existe », insiste Francis Kramarz, professeur à Polytechnique et directeur du CREST (Centre de recherche en économie et statistique).

Les finances, enfin. Et elles ne sont pas le moindre problème de l’école. Le capital de départ de la fondation (une dotation publique de 20 millions d’euros plus 3 millions venus du privé, pour un chiffre d’affaires de 9 millions par an) a été trop faible pour que l’école puisse vivre d’une rente, comme le font des universités américaines. Et, « contrairement à Sciences po, les étudiants étrangers ne nous rapportent pas d’argent » !« Notre budget a été équilibré en 2013-2014, mais cela passe par une recherche de financements tous azimuts. La majorité de nos revenus sont des financements sur contrats, comme ceux passés avec l’ANR (Agence nationale de la recherche) ou le programme des investissements d’avenir, dans le cadre du grand emprunt », indique son directeur. Mais aussi du conseil, des rapports, des appels d’offres européens, des partenariats avec des entreprises…

« Nous ne sommes pas des consultants, nous ne sommes pas un think thank ! » protestent toutefois nombre de chercheurs. La Cour des comptes en est d’ailleurs d’accord : PSE doit « prioritairement » augmenter le capital de sa fondation, seul garant de son indépendance et de sa pérennité financières. L’avenir de l’école pourrait passer par le « crowdfunding », le financement participatif très en vogue actuellement, mais, dans l’immédiat, PSE attend de pied ferme « son » nouveau bâtiment, synonyme d’unité de lieu, de décloisonnement, et d’ouverture. « Sa construction avait été signée dès 2007, rappelle Thomas Piketty, c’est très lent, mais on n’est pas à Shanghai !… »

Daniel Bastien

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